un ciel sans horizon – photo mbp

Hissé des profondeurs

un rouge fait soleil

un reste de nuage effiloche la voix

Ce qui glisse doucement dans les mots

a toujours une couleur

et je crois parfois la toucher

car c’est la couleur de l’enfance

inséparable de nos voix

Si tous les mots l’égrainent

chacun d’eux la protège

L’oubli est son royaume

nous en sommes la trace

Nous, tombés dans le temps

depuis l’immensité      

                                           

Depuis le vert

Je parle depuis la cime changeante du vert
d’un son entonné emprunté aux oiseaux
d’un chant de rivière qui reflète son foisonnement
d’émeraude et d’onyx
un génie loin de l’idée de mélanger
de jaune et de bleu la surface des feuilles
mais d’un jeu chlorophyllien
dont le soleil est le peintre


La couleur se nourrit de l’eau et du vent
se gorge de pluie et de terre
elle digère rayons inverses
des rouges absorbée la colère
d’un spectre scintillant son camaïeu

rejailli sur toutes les faces du globe
comme d’un dé relancer la fougue
et le verdoiement

Je parle d’une disparition progressive
l’obsolescence programmée d’une couleur
noyée dans le gris bitumeux
qu’on tire chaque jour vers le haut
pour empêcher que la planète bleue
perde tout à fait ses plumes
et son vert

lignes de vie – photo mbp

Irisée turquoise majorelle outre-mer

Un  bleu venu d’on ne sait où

enfoncé dans ton côté

une autre couleur pour tes yeux que je dessine

à intervalles réguliers

Et je replie ta lettre

soupir dans une poche du repos de mon âme

Un bleu -oui – sans limite

ourlée de déchirures vermeilles

bordée d’une frange rouille et ocre

Vers le soir c’est le vert sombre qui domine

rapiécé par la force des choses

et qui flotte au-dessus de moi

un « je t’aime » éclairé

Pendant ce temps la mer à grands plis mauves

cueille des archipels

une aurore en bouquet tinctorial

qui n’en finit pas de creuser la nuit

Le cœur des couleurs est ainsi fait

il bat entre le noir et le blanc

sans choix qu’un profond désir

d’atteindre dans sa course

une couleur inconnue dont on sait simplement

qu’elle embrasse toutes les autres

Couleurs de la vie


grisaille des jours
qui assombrit la pensée
les gestes s’étiolent
en manque de projets
les mots ourlés de lumière
sur tes lèvres
perdent leur éclat
silence noir sur
les heures emmaillotées
de mélancolie


mais à l’aube
un obscur désir te pousse
à ouvrir grand la fenêtre
à rester là immobile
le visage offert
à la transparence
bleue de l’air
à l’appel invisible
du jardin qui verse
sur la terrasse sa cascade
mauve de volubilis


et tu souris légère d’être
un instant consentante
aux couleurs de la vie

Sur la toile à danser

elle étire la matière

elle allonge ses bras gourds

jusqu’à toucher la peau du ciel

Elle rassemble les points épars

dans l’espace des douleurs cardinales

Elle coule son âme mauve

dans le godet des soupirs

Elle étire au couteau

la pâte comme un cri

La lumière ronge formes et ombres

De l’absinthe au lilas

La couleur est un spectre où tremblent les reflets

Un pinceau qui  tourne dans l’eau claire

Tout vibre dans le blanc

On touche alors aux pigments du poème

Couleurs

La chatte noire a vu

La jeune fille en rose

Et la rose rouge a souri

De toutes ses perles de rosée

De voir dans l’herbe verte

La jeune fille en rose

Jouer avec la chatte noire

La chatte noire a griffé

 La jeune fille en rose

Et la rose rouge a pleuré

De tous ses pétales embaumés

De voir dans la nuit bleue

La jeune fille en rose crier

La cruauté de la chatte noire

Mais quand le soleil s’est levé

La main de la jeune fille blessée

A caressé le cœur fané

De la rose morte.

La nuit annule les couleurs du monde

Pleine lune aux cintres des cieux

Lanterne sourde aux adieux

Feu follet boiteuse ouvreuse

À mon cinoche de minuit

Sur l’écran de mes paupières closes

Le bleu anime l’évidence

Été de naguère et d’antan

Où le temps n’a guère été

Tes jours heureux

Tes soirs de danse

Croqueuse à belles dents de neige

Ourlées de velours

Que n’ai-je pu te retenir

Pulpe à ton fruit défendu

Tes baisers grisent

Bien plus que le vin versé

Que n’ai-je su t’envoûter

Baigneuse nue

Que l’écume dentelle vêt de transparence

Que n’ai-je pu t’enlacer

À mon cœur de sable qu’érode la vague

Que n’ai-je osé piller

L’or de ton corps immémorial

Dune dans la dune qui aiguise mon regard

Égaré à ta guise jusqu’à la fin du jour

Quand l’ombre mêle les couleurs du monde

Pour inventer le noir

« L’ombre mêle les couleurs du monde pour inventer le noir » – composition numérique à partir d’une photo. mbp

聽大海的聲音

鋪上太平洋小島

的海岸

有好多銅綠的鐘螺

看起來像貝殼

的墓地

離開帛琉之前

你把一個鐘螺

從水裡弄出來

在陽台上

你很有毅力

用砂布把牠的殼

擦乾淨

彩色斑點慢慢

從幾層灰膜

露面

一些粉紅黃色圖案出現

那是老天給過牠的原色

可能不是太平洋

最美麗的鐘螺

牠卻含復活

的秘密

ÉCOUTE LE SON DE LA MER

D’innombrables escargots marins

couleur vert-de-gris

jonchent le rivage de cette petite île du Pacifique

On dirait une nécropole

de coquillages

Avant de quitter les Palaos

Tu en sors un

de l’eau

Sur ton balcon

Avec patience 

tu frottes sa coquille

au papier de verre

Des taches colorées émergent lentement

d’épaisses couches

grisâtres 

Quelques motifs roses ou jaunes apparaissent

Voici les couleurs originelles que le Ciel lui avait données

Ce n’est peut-être pas

le plus beau coquillage du Pacifique

Mais il détient le secret du renouveau

〈紫〉

我深愛的

竟含藏

生之喜死之懼

聽母親訴說我出生時

經歷長時陣痛

終於扳倒死神

我以腳先頭後的叛逆之姿

全身泛紫出場人世

宣告纏鬥結束

母親拍我屁股

逼出生之哭聲

且親自剪斷臍帶

從此我一生敬畏母親

浪漫紫原來滲入

熱熱的血紅

冷冷的鬱藍

La couleur violette

Violet

Je t’aime tant

En toi se trouve vraiment

le bonheur de naître et la peur de mourir

J’ai écouté ma mère conter l’histoire de ma naissance

Les tourments du travail longuement endurés

Et enfin la victoire sur la mort

Frondeuse je m’étais présentée par les pieds

C’est toute violette que j’ai fait mon entrée dans ce monde

Proclamant la fin du combat

Ma mère m’a tapé sur les fesses

faisant sortir mon premier vagissement

Puis elle a elle-même coupé mon cordon ombilical

Depuis lors et pour la vie je vénère ma mère

Au fond la romantique couleur violette est imprégnée 

d’un rouge sang bien chaud

et d’un bleu profond bien froid

J’ai noué un fil de l’aube aux portes de mon cœur 

Pour faire un vêtement léger 

Dans la tribulation du jour.

Comme au premier jour,

J’ai bercé mon souffle au chatoiement de l’aurore 

En souvenir du jour où j’ai posé pied à terre.

Je me souviens, encore tiède du ventre maternel,

Avoir sangloté mon premier cri,

Appelé l’écume des vagues,

Pour colorer d’espérance 

La barque qui devait me porter au long cours.

Et le ciel m’a répondu, s’est fardé de bleu léger 

Les paupières du monde.

Et malgré la noirceur des néants qui voulaient m’engloutir,

J’ai cru, encore un matin,

Que l’univers entier voulait encore me sourire.

Joël L’Astropoète

Quand la couleur pleut des larmes de lumière, photo mbp