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1 – Italo Calvino (1923-1985) : l’écrivain italien le plus traduit au moment de sa mort.

Ecrivain et journaliste, Italo Calvino est né à Cuba : son père, anarchiste dans sa jeunesse, était agronome et botaniste tropical : il avait émigré au Mexique en 1909 pour occuper un poste important au ministère de l’Agriculture, avant de partir à Cuba,  en 1917, pour y mener des expériences scientifiques, après avoir vécu la Révolution Mexicaine.

C’est sa mère, pacifiste engagée, qui choisit le prénom, pour établir un lien entre l’enfant alors émigré et son pays d’origine, où ils rentrent en 1925, sous la dictature mussolinienne, pour s’installer à San Remo, dans un luxuriant domaine qui inspirera une oeuvre comme Le Baron Perché.

Après des études d’agriculture qui ne l’enthousiasment pas, la participation à la résistance au sein des Brigades Garibaldi, il s’installe à Turin en 1945, y découvre le monde littéraire, le journalisme (dans les publications communistes L’Unità et Rinascità) et soutient une maîtrise sur l’oeuvre de Joseph Conrad, qui lui ouvre la porte des éditions Einaudi

En 947 paraît son premier roman, Le Sentier des nids d’araignée qui remporte le Premio Riccione et inaugure sa période néoréaliste. Il est suivi en 1949 par Le Corbeau vient le dernier  recueil de nouvelles basées sur ses expériences de guerre.

Toujours attiré par la littérature populaire, et la fable, Italo Calvino écrit une série de contes : Le Vicomte pourfendu (1952), Le Baron perché (1957), et Le Chevalier inexistant (1959), qui forment la trilogie Nos Ancêtres, et lancent entre fable, fantastique et réalisme, le roman allégorique qui le font connaître à l’international, en parallèle avec des écrits dans la lignée réaliste, mâtinée de fantaisie, comme Marcovaldo ou les saisons en ville (1963);

Installé à Paris avec sa famille en 1967, il va vivre les turbulences de la révolution de mai 1968 – Surnommé « l’ironique amusé », il traduit Les Fleurs bleues de Raymond Queneau qui l’introduit à l’OULIPO – Ouvroir de Littérature potentielle, groupe d’écrivains expérimentaux travaillant en s’imposant des contraintes, parmi lesquels Roland Barthes, Georges Perec, Claude Lévi-Strauss… groupe auquel il adhère en 1973. Suivront des oeuvres dont la structure répond à des contraintes initiales :

Le Château des destins croisés (1969), Les Villes invisibles (1972), Si par une nuit d’hiver un voyageur (1979) appartiennent au « système combinatoire des récits et des destins humains », à l’aide duquel Calvino construisait ses récits. Les figures du tarot constituent par exemple la structure du Château des destins croisés.

2 – Les labyrinthes des Villes invisibles

Les multiples cheminements que permet le labyrinthe fascinent l’auteur, dans la bibliographie duquel on retrouve d’ailleurs le titre La Foresta radice labirinto ( Forêt-Racine Labyrinthe – aux éditions.Seghers, illustré par Bruno Mallart, 1991 – court texte dialogué écrit initialement pour la radio et devenu spectacle de marionnettes). On retrouve le dédale – la combinatoire – comme structure constitutive du Château des destins croisés ou Si, par une nuit d’hiver, un voyageur. Le réseau enchevêtré des cheminements est sous-jacent à plusieurs niveaux également dans le texte hybride – récit, poésie, essai philosophique – que sont Les Villes invisibles :

Dès leur écriture, les récits qui se succèdent ne suivent pas une trame chronologique : Calvino explique dans la postface à l’édition originale qu’il les a écrits sur plusieurs années, suivant divers fils de réflexion, inspirés notamment par l’actualité, et qu’il a constitué un peu à la fois des dossiers les regroupant, en fonction de similarité, avant de systématiser la construction au moment où il décide d’en faire un livre qui se présente d’abord au lecteur – reprenant le schéma des Mille et une nuits – comme un récit de voyage, attribué à Marco Polo, devenu ambassadeur de Kublaï Khan. Ce dernier, joueur d’échec qui reconnait dans le récit la complexité du jeu, et des déplacements des pièces, fait parler l’émissaire en pensant que

 « Si chaque ville est comme une partie d’échecs, le jour où j’arriverai à en connaître les règles, je posséderai finalement mon empire, même si je n’arrive jamais à connaître toutes les villes qu’il contient. »

Entre les chapitres de description des villes que le voyageur aurait rencontrées (et qui souvent sont aussi des reflets déformés de sa Venise natale) , et dont il évoque le devenir historique, depuis leur conception, souvent pleine d’un optimisme utopique, jusqu’à leur décadence, on trouve des entretiens ponctuent le récit – composés d’aphorismes, énigmes et paradoxes, troublant la temporalité, la causalité, la réalité :

La ville pour qui passe sans y entrer est une, et une autre pour qui est pris par elle et n’en sort pas; une est la ville où on arrive pour la première fois, une autre celle qu’on laisse pour ne plus y revenir; chacune mérite un nom différent; peut-être ai-je déjà parlé d’Irene sous d’autres noms; peut-être n’ai-je jamais parlé que d’Irene.

Ces villes sont 55 portant toutes un nom de femme, et leurs regroupements permet à l’auteur de tisser des liens avec 11 différentes thématiques qu’elles développent :

  • Les villes et la mémoire
  • Les villes et le désir
  • Les villes et les signes
  • Les villes élancées (effilées sur le tableau joint)
  • Les villes et les échanges
  • Les villes et le regard
  • Les villes et le nom
  • Les villes et les morts
  • Les villes et le ciel
  • Les villes continues
  • Les villes cachées

Les thèmes s’alternent de manière que chaque chapitre regroupe cinq villes et que l’ordre des thèmes reste le même à mesure qu’ils se succèdent (voir schéma – source wikipédia)

L’originalité et la variété des cités imaginées par l’auteur ont fait de cet ouvrage internationalement connu une incessante source d’inspiration pour la BD fantastique ou les décors de jeux vidéo et les nombreux lecteurs fascinés par la poésie onirique des textes, la beauté des images… Le récit est aussi une fable philosophique dont le sujet est particulièrement actuel, posant les questionnements qui préoccupent notre époque, ultra-urbanisée et mondialisée, en abordant à travers la construction des systèmes de relations entre elles ou internes les réflexions contemporaines sur l’urbanisme, Internet, les flux et l’interconnexion.