illustration obtenue par I.A
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SANS FILTRE
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Là, c’est moi ; je suis assise
remplissant mon enveloppe qui vieillit
acceptant mon invisibilité.
Rejetant ma fragilité.
Suis-je insignifiante ?
Je porte mes rides comme silice et cendres.
Devrais-je me réinventer
pour les bravos
des masses sur les réseaux sociaux ?
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Des crétins twittant sur Twitter
exposant des coquilles sur Insta
surfant et trollant
perfectionnant leur persona sur FB,
un pêle-mêle de clichés photoshopés.
Avec une légère touche de mélancolie.
Il me faut plus parce que je suis moins.
Filtrant les visages et pas les mots,
nourris de louanges,
prisonniers dans des cages de « likes ».
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Les yeux qui ne me voient pas.
Les oreilles qui ne m’entendent pas.
Devrais-je mettre mon filtre et danser,
au rythme vain d’une transe numérique ?
Une livre de chair sous le bistouri,
effaçant les signes d’une vie vécue.
Augmentant lèvres et fesses,
un veau gras,
c’est l’insulte d’un inconnu dans mon miroir.
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Mes sourcils sont-ils « nickel » ?
Suis-je assez ravageusement « savage »?
Suis-je trop «woke » ou pas assez ?
Je me connecte et j’attends vos critiques.
Célébrons la couverture, pas le livre.
Postez une photo pendant que le jury vous évalue.
Ayez une opinion et nous vous détestons.
Notre humanité se perd sur le Livre.
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J’ai erré dans les rues de Londres,
avec ma date de péremption en cape d’invisibilité.
Comme le regard des gens « cool » fuit à toute vitesse,
avant de se dissoudre dans le grand smog de la ville,
j’ai discuté avec Eliot en partageant notre désespoir
après des échanges de politesses éculées
autour de « thé, gâteaux et glaces ».
Parlant des hauts et des bas tout en
riant et pleurant
Râlant avec Bukowski ; saluant Sylvia de la main
tout en mourant.
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Des voix étouffées qui discutent, entre elles,
leurs visages sans défaut derrière un écran.
Moi, déconnectée. Eux, hors de portée.
Là où se trament réel et virtuel,
j’ai fréquenté le vide de l’entre-deux.
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Devrais-je contester la vérité, si je crois le mensonge ?
Des cohortes se ruent sur TikTok,
quinze minutes de célébrité
pour choquer, brusquer, moquer,
s’exhiber sans retenue.
Moi je suis vieille mais dans leurs yeux la lumière s’est éteinte.
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L’autrice :
Nayma Chamchoun est une poète britannique d’origine marocaine, dont l’écriture est influencée par sa dualité culturelle. Elle s’intéresse aux voix féminines de la diaspora, aux défis auxquels elles sont confrontées au sein de ces deux communautés et aux tabous entourant la santé mentale au sein de leurs communautés ancestrales.
Nayma est une membre active de la dynamique communauté londonienne de poésie et de spoken word, ainsi que de la communauté internationale de poésie en ligne. Elle a présenté ses œuvres lors de plusieurs événements Poetry Open Mike, notamment pour le 5e anniversaire de Grenfell, et a été diffusée à plusieurs reprises sur West Wiltshire Radio et BBC Radio London.
Elle est l’auteur d’un recueil de poésie, COVID: THE WORDY WILDS OF A MIND UNDER LOCKDOWN