.

7 – Steve-Wilifrid Mounguengui Marie-Hélène Prouteau – Cécile Bellamy-Bajard – Harmony Flavigny (photos) – Murielle Compère-Demarcy – Brigitte Broc – Emmanuelle Sarrouy-Noguès – Guillaume Dreidemie – Patrice Dufetel – Alix Lerman-Enriquez

8 – Lea Cerveau – Perle Vallens – Emmanuelle Sarrouy – Claude Bugeia – Flore Iborra – Sibylle Bolli – Jean-Charles Paillet – Stéphanie Vermot-Petit – Emanuella Rizzo (trad. Marilyne Bertoncini) – Anne Barbusse

9 – Anne-Lise Blanchard – Marilyne Bertoncini – Cécile Oumhani – Brigitte Besos – Gérard Le Goff – Diane Regimbald

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Steve-Wilifrid Mouguengui

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Ruines, ce qui se tient à la clairière

.

Je ne porte avec moi que des bribes

d’une terre quittée plus tôt

J’abrite les morceaux 

d’un pays que je ne peux habiter

Peut-être qu’il m’a fallu cela

Pour être à l’écoute de presque rien

Ce qui se tient à la clairière 

Tout près et tout autour 

Omniprésent et invisible

dans un bruissement de silence

.

Des lambeaux de pays flottent dans le vent des saisons

Sur la crête les montagnes sont des vaisseaux

.

Et pourtant

Longtemps j’ai cru qu’il y avait là

un amas de poussière 

Longtemps j’ai été sourd au murmure

.

Amas de pierre qui légendent l’existence humaine

.

Tout est déjà là, dans l’angle mort d’un regard trop habitué au spectacle. Un corps porté par la vitesse, une vie programmée, séquencée, une existence projetée en dehors d’elle-même. Peut-être me fallait-il perdre le nord, quitter l’ampleur rectiligne des autoroutes, bifurquer ou dériver dans le lacis des sentes au cœur de la montagne.

.

Ralentir ou simplement retrouver une respiration.

.

Parole rétive au vouloir

.

J’ai délaissé les grands axes pour hanter l’arrière-pays. Traverser en diagonale les vides, les causses. Et j’ai vu des pierres tombées, des bouts de murs. 

.

Fragments de monde 

Récits muets de l’œuvre de l’homme

Trace énigmatique 

.

Je te parle de maison de pierres

De gestes ordinaires des gens de peu

.

Des hommes et des femmes qui n’avaient que leurs mains pour façonner la poussière

Chacun de leurs gestes tissant le ciel

.

Parfois

J’ai trouvé au large de la montagne 

au milieu des bruyères

J’ai trouvé refuge dans un abris de pierre

.

Et j’ai entendu les voix éteintes des bergers qui traversaient le paysage

.

Constellation de pierres

Ou oasis de sens

Là la fragilité se donne l’homme interroge le vide de sa puissance

.

Je te parle de grange en lambeaux sous les noisetiers

de orris perdus dans l’herbe

De tout ce qui ne fait pas monument 

Et qui portent le récit quotidien des gens de pays qui nous ont légué le monde

.

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Marie-Hélène Prouteau

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Ruines, ce qui jamais ne finit

.

Visage offensé de chaos    

elle bras dressé comme un signe

au fils parti l’été 14

stabat Mater des ruines

corps de pierre démembré

dans l’enclos du souvenir

aux MORTS POUR LA FRANCE

.

À travers les larmes elle

capte le démentiel déluge 

des nuits d’insomnie

les noirs hiéroglyphes

en langue des runes

aux carrefours rue de Siam

;

D’une guerre l’autre

la mère-fantôme  

chante inconsolée le lamento

de sang de cendres

au lieu amer     

du cénotaphe aux fils       

.              

Bafouée la douleur

des champs d’honneur

atroces recommencements

en ce point de revenance

le cœur fait naufrage

en double lot

fleurissent les ruines.

.

« L’Assaut » – travail numérique à partir de la photo du monument aux morts de Brest – mbp

.

                                                                                                                                                                                

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Cécile Bellamy-Bajard

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Ruines sans nom

qui se dévisagent

dans le jour creux

où souffle le vent

.

Une pie acquiesce

au silence immense

mort-né de l’espoir

et du néant

.

Le linge pend seul

toutes les larmes bues

de l’aube

L’herbe solitaire

.

retient dans ses canaux

le son des voix tues

qui s’éteignent une à une

avant la pluie

.

.

Harmony Flavigny

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Gruissan, Tour Barberousse, dernier vestige d’un château médiéval détruit sous l’ordre du cardinal de Richelieu sept siècles après son édification.

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Murielle Compère-Demarcy

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à Pascal QUIGNARD

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Un oiseau buse
de Harris
Un livre
ouvre l’Obscur
de ses ailes
de lumière
libérant la parole pariétale
.

Ruines demeurez là
Runes en performances de ténèbres !
.

Un oiseau
Un Livre
s’allume
Plume du poète
Oiseau de l’être
il porte l’épopée du jour
comme veille l’étincelle des ruines
au Phénix de l’éternité

.

.

Brigitte Broc

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Il  faudra un alphabet rutilant,

dégagé des ornières

et des pièges sournois.

Un alphabet de glaise,

puisé à la source première.

Brandi, dans la démesure de vivre,

il arrime florilège de feuilles,

stances de vent,

et son pouls est saccade,

cascade de rires et de mains réunies.

.

Runes en cavale,

cavalcade de naseaux

et de troncs puissants,

vous incendiez les friches

et les sombres fourrés.

Le silence devient murmure,

ses gestes sont verts, et amples,

il est sillage, il est sillon,

où des lettres brûlantes viennent boire,

où les lèvres d’avril s’arrondissent

en un chant.

.

L’ancien feu est brasier,

sa danse, invulnérable,

au beau mitan du monde.

Gravée dans la pierre, dans l’écorce,

la parole s’élance et rassemble.

Sur les ruines des mots jamais écrits,

jaillit la sève de nouvelles traces.

Elle ensemence la terre, le ciel.

Elle est chair et vertige, cime et paroi.

Gravée dans la vie, la parole est poème.

Le poème est passage.

.

.

Emmanuelle Sarrouy-Noguès

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Ruines, traces, chemins…

.

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Guillaume Dreidemie

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Ovide ! Puisqu’à tes lèvres le marbre agité d’un soupir,

Puisqu’à ma lèvre où tremble la raison, j’ai retenu un cri, déchaîné !

Ô vie chère à ces siècles d’anges et de furies,

Ton cœur bat à ma tempe,

Battement léger de l’aile qu’on croyait perdue,

Nous n’oublierons plus de chercher le sens des pierres,

Ruines, échardes vives au cœur de la blessure,

Icare laisse un sillage où je m’engouffre, on me croit perdu !

Ruines, avides du ciel, luttent entre elles pour prendre la lumière,

Aux ruines du Forum j’ai encore pleuré,

Je me suis battu pour des luttes d’Enfers,

Maquillages ruinés des Belles de nos jours,

Je garde le portrait d’une Dame en majesté,

Bas-relief d’un tombeau de velours !

Ovide, ô vie ! Tes vers ont fait couler des larmes du premier siècle dont je goûte le sel…

Argos garde ses cent yeux ouverts, et je dénoue ma chevelure !

Ovide, les Moires tissent plus lentement en écoutant tes vers…

Toi qui pressentis que tu pouvais douter des dieux ! Ovide, dans l’ombre de Rome, je t’ai retrouvé 

.

.

Patrice Dufetel

.

Mais alors
il reste un peu de nous
au fond de ce gouffre
un oiseau blessé
au pied de l’arbre.

.
Il ne reste rien
c’est dire qu’il ne faut oublier
ce qui a existé.

.
A l’angle des rues
la terre s’est brisée.

.
De jolis feux ont dévoré
ses yeux
sa bouche
et son aurore.

.
La buse éplorée
sur son cadavre
tournoie lentement
au fond de notre âme.

.
Mais alors
où vont les hommes
avec tant de jours sur le dos
dans la ville dévastée.

.

photo mbp

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Alix Lerman-Enriquez

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 Vestiges     

Sur une vieille pierre, d’anciennes lettres creusées à même la roche brune.

Traces infimes d’un passé qui ressurgit.

Coquillages fossilisés, abeilles encloses dans l’ambre doré.

Et sur le rocher où s’inscrit notre histoire, une mouette déchiffre cet alphabet de pierre qui luit sous la lune intime, rosit à l’aube, rougit au couchant.

L’oiseau chante la mer, déchiffre ces lettres en creux d’un poème millénaire mis en musique par le vent,

Démêle les algues sur la grève, cueille quelques brins d’herbe froissés qui forment des mots tressés de silence et de soleil gravés à même la pierre ou le sable.

Lettres perméables aux vagues qui s’échouent sur les ruines de nos souvenirs.

Runes de sable qui s’effacent la nuit, renaissent au grand jour sous le ciel bleu.

Braises du passé qui explosent, escarbilles sous la chaux vive de l’été.

.

                                  

photo Alix Lerman-Enriquez

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Léa Cerveau

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– nos seuils –

.

Sur nos seuils

aux portes de nos mondes insensés

la lumière répare l’ombre

et l’ombre sépare la lumière

en éclats de soi

voilà que l’on creuse nos premiers hivers

dans le lierre épais de nos ruines

les portes sans clé

les fenêtres sans reflet

laissent pénétrer nos rêves fous

nos désirs insolents

nos vies furieuses

ici, nous saisissons le froid à bras le corps

nous laissons le vent se jouer

de nos nuits sans lune

siffler dans nos cheveux

caresser nos chairs gelées

sur nos seuils

aucun obstacle à franchir

aucune frontière à dépasser

seulement nous

vivants

dans l’ombre et la lumière à la fois.

.

photo : Lykaphotographe

.

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Perle Vallens

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Urbex

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L’assise cousue main bordée d’insectes rampants
coussins que rembourre la vermine
d’un fauteuil à l’abandon ses bras vernissés toujours intacts

.

tendus vers la vitre d’une vie passée boivent la lumière
à l’avant-scène d’une zone urbex
colonisée par des lianes rôdeuses

.

Ce sursaut d’existence s’entortille
sur parquets percés et bris de glace
leur montée de vert dans les meubles éventrés
générations nouvelles de tiges et de jambes
des adventices indiscrètes entrées par effraction et des squatteurs

.

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Emmanuelle Sarrouy

.

ecballiums parmi les ruines

.

hommes femmes enfants

peuples de toutes contrées

d’Orient ou d’Occident

nous nous sommes croisés

sur les chemins d’errances

terres dévastées de nos identités

géographies brûlées des heures oubliées

vestiges de nos langues atrophiées

.

la terre a tremblé et les larmes coulé

la terre encore

s’ouvrira de mille guerres intestines

les larmes à nouveau

couleront sur les rêves de paix

.

mais au milieu du carnage, folie de poignées d’hommes

vous avez choisi de pousser ecballiums

sisymbres et autres solanacées

pissenlits et coquelicots révoltés

sauvages rebelles et plus vivaces que jamais

champs de cailloux failles et pierres froissées pour alliés

.

vous ecballiums parmi les ruines de nos sombres années

vos racines plus robustes qu’à l’accoutumée

intensifieront nos force et détermination sans frontières

déploieront la trame colorée de nouveaux alphabets

pulseront le désir de langages explosifs

dans la puissance du vivant sans cesse renouvelée

.

.

Claude Bugeia

.

Saccage

.

Décombres austères

Fumants et noirs

Tôles torturées par les flammes

Air chargé de cendres

Chiens errants affolés

Tableau de misère

Sombre avertissement

D’un long retour en arrière

Seule la terre brûlée devient fertile

Tout le reste n’est que tourments de guerres

Dont l’homme sort toujours battu.

.

.

Flore Iborra

.

Elle survolait ses ruines

plissait les yeux

pour mieux voir

leurs formes torturées

banales

et compactes

qui sans fin

se défaisaient

pour revenir

mouvantes

dans les ruses

du souvenir

.

chérissait leur laideur

abandonnée

dans des corridors

obscurs

pliée et dépliée

sans fin

déballée

par l’oubli

.

ruines plus précieuses

que le souffle froid

des victoires

dépassées

toujours dépassées

étrangères

au feu de sa vie

.

en elles reposait

sa profondeur

creusée de ses propres mains

de ses griffes

et de ses erreurs

.

silence

où des vents ironiques

surveillent

des pierres blessées

.

vérité

des arêtes vives

sur d’innocents malentendus

de grands châteaux s’étaient levés

il n’est resté que des fenêtres

des lueurs

où passe le ciel

.

et puis

des larmes

étaient venues

qui mouillaient

brusquement ses mains

pour lui parler

de son

refuge

ce pokoï

amer

et salubre

d’où elle venait

et reviendrait

.

née sur les cendres

d’autres ruines

d’où elle voulait tirer

ses mots

signes épais

qui s’envolaient

se dissolvaient

dans le brouillard

des runes sortaient

de son haleine

devenaient cristal

en hiver

la menaçaient

de leurs flocons

de dire

ce pays lointain.

.

.

Sibylle Bolli

.

L’axe du soleil

l’île était belle

et tu resplendissais

moi j’égrainais les Minotaures

à l’ombre des murs

rarement flottait jusqu’à moi

le parfum des cistes et des bleus

déboulant par-dessus nos ruines

tu me saisissais alors

dans ta bouche d’aède

et je pouvais danser

un court instant sans point fixe

sur le dos tavelé de la mort

.

l’île était belle

tu resplendissais

toujours je cherche notre langage

la rune de l’olivier celle

de l’amandier et plus loin

ton fugace reflet d’aimer

enfoui dans mon labyrinthe

.

il me faut notre alphabet

de sauges et de cris

de béantes blessures

seulement ainsi je

pourrai te danser

sans point fixe

sur le dos tavelé de la mort

.

.

.

Jean-Charles Paillet

.

Des pans de murs

en mal de solitude

des ronces au galop

une ancienne maison

à délivrer du silence

.

Si loin le premier matin

le géranium à la fenêtre

la fête autour du puits

.

et sur le pas de la porte

la silhouette d’un vieux

courbée du poids de la terre

.

S’attarder

en ce lieu

hors du temps

de murs effondrés

et de ronces

témoigne

d’un recueillement

.

.

Stéphanie Vermot-Petit

.

Little Girls

.

Il a neigé sur Odessa, sur Hiroshima, sur Guernica, dans la vallée de la Beeka. Il a neigé sur Marioupol, sur Mayenne, Marseille et Montecassino : Tokyo, Kiev et Caen et puis Kharkiv, Beyrouth, Dresden, London et puis Savone. Qu’avez-vous fait de mon pays ? J’ai tiré le fil traître dans sa cachette, la chevillette de la maison de la honte, et tout s’est détricoté : maille par maille, mur par mur, pas de pitié pour ceux qui résistent. Un jour le monde sera aussi blême qu’une lune privée de sa nuit, une lune aux joues criblées d’acné, à la bouche arrondie en un rictus horrifié : son unique œil condamné à la lumière. Ils pourront bien se réunir à l’endroit où poussaient autrefois les arbres, les druides : leur ancien dieu n’y verra que du blanc. Voilà ce que deviendront les pays, les peuples, les devins, les dieux, le cœur pris dans les glaces éternelles. Oiseau de mauvais augure, quand donc te tairas-tu ?

.

.

Emanuella Rizzo

.

Non dimentico

alberi fitti di foglie,

riflessi d’argento,

su rami ricurvi,

mentre

la storia si ripete.

Non si cancellano

millenni di storia

incisi su cortecce

di vita.

La storia dei miei

ulivi

di un Salento assolato

è scritta

nella mia anima

per sempre.

.

Onore÷ ieri, ora e per sempre a chi è riuscito a salvare la nostra storia scritta su cortecce d’ulivo.

.

.

je n’oublie pas

les arbres au feuillage dru,

les reflets d’argent,

sur la courbe des branches,

Alors que

l’histoire se répète.

Rien n’annule

les millénaires

incisés sur l’écorce

de vie.

L’histoire de mes

oliviers

du Salento ensoleillé

est inscrite

dans mon âme

à jamais.

.

Honneur… hier, maintenant et à jamais à ceux qui ont su  préserver  notre histoire écrite sur les écorces d’olivier.

Trad. Marilyne Bertoncini

.

Anne Barbusse

.

défricher/déchiffrer

.

sarcler la ruine-blessure (l’espace donne quand le temps retire) outils et métal déshabiller la terre pirate dénuder

pierres et mots (re)monter murets désossés corps de l’enclos déstructurer les chênes sur peau calcaire ronces et aubépine labourer les restes (un cul de chaudron, gond rouillé)

défricher les siècles aux arêtes disloquées nettoyer poussière réfractaire mortier griffes de racines crues (un seul merisier sauvage peut desceller le chambranle) au seuil gravier et surgeons

déchiffrer/défricher la langue de la ruine (sourde et muette) la langue plate à l’arase scier les rejets buis secs pierres sèches (ôter dépôt d’humus) puis questionner l’angle de la langue perpendiculaire et la mousse joufflue blocs tombés sur l’automne alors biffer le cadastre ôter lierre et saxifrages dénuder (petites pierres au centre, entre les grosses, les plates, celles qui font date) niches ensablées hisser les toutes tombées depuis quand et poser les mains sur autres mains les mortes celles qui ont osé cartographier la forêt (cercle bivalve des fours à pain)

la langue des siècles déchiffrer (l’automne et la ruine) la toute tombée (de tous ses troncs la forêt de nuit engloutit la ruine) réassembler pierres imbriquer linteaux de fenêtres encastrer mains griffées de lianes/branches mains des autres siècles (avec le sang) les terrés des bois charbonniers chevriers ont écrit quadrillage – sur le flanc de la terre-montagne de la terre-forêt abris de pierres comme des parias (cyclopéennes ou tuiles cassées) tessons de cruche paysans grouillants/bêtes allaitantes flanc de falaise grotte muée à gorge ruine préhistorique de la ronce mains adjacentes et le sang

alphabet tronqué de la ruine (manquent les poutres manquent les chevrons manquent les tuiles) madrier émacié veiné de pluie châtaignier écorcé plein ciel chaque recoin sarcler démuseler l’énigme fouiller la chair évidée des mondes pauvres (petite archéologie du détail) taillée la pierre angulaire où mortier réfractaire où brique pleine où les lauzes plates (poser le pain)

défricher/déchiffrer ruines (tant de pierres plates pour faire pain) avec les mains-outils mais qui était là qui faisait quoi (bêtes ou hommes) cuisait le pain démêlait monde dépierrait (pommes de terre) terre-pierres d’Ardèche (ils marchaient entre les ruines devenues, ils vivaient) murs-pierres et la forêt mêmes chênes et les fantômes y déceler les restes morts/ongles cassés (un habitat est un texte maladroit tracé sans lettres sur les terres drues)

décrypter dédales-effondrements et murets/escaliers en bas la brume effiloche les vivants les restants dans bois pierre terre la ruine et elle regarde les mains qui la font le temps qui la défait squelette nu ni chaux ni enduit (qu’y faisait-on qu’y vivait-on) deux pierres plates saillantes (poser le pain) épeler la quinconce disloquée pierreuse ne pas faire tomber la dernière la blessure entrelacs d’enclos labyrinthés dessous la bergerie la noble morte dessous les chênes caves branlantes poussent les arbres regarde fantôme à voix calcaire ethnographie d’une vie mais dis la ruine ta langue de ruine

sarcler les ruines-énigmes les ronces la terre la peur la mort déjà calcaire désensabler anfractuosités rentrer les bêtes rentrer le temps empiler faîtage vitaliser les ronces la terre la morte

(la ruine aboutit à plus que nous-mêmes, elle interroge comment l’homme habite le monde comment il circonvient son destin puis abandonne, le déshabite)

.

.

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Anne-Lise Blanchard

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Bouquets d’étoiles distordues bouquet
d’ellébores bouquets de mort
la terre se tarit sous le feu cèdres
et cyprès pleurent larmes de pierre
ô terre du Levant ton peuple
arpente les cachettes de la douleur
traque une nuit de soufre de cendres
devenue routine que n’érafle plus l’espoir
pierres de chair incandescentes témoins
de l’avènement d’une Humanité
en ses rêves de terres fécondes
ô terre du Levant
Ta paume comme une rose ouverte1
tu nous enfantais notre ingratitude
te supplicie à ciel ouvert
dans l’inconnue des marges et variables
et nos paupières se resserrent
sur ton alphabet de runes devant
la mer verrouillée ô terre du Levant

Anne-Lise Blanchard

_

1 Guy Goffette

.

.

Marilyne Bertoncini

.

Lasciate ogni speranza…

                Voi ch’entrate1

parmi les lichens gris du souvenir

entre les rochers moussus

au ras d’une eau où flottent

les déchets de la mémoire

et une rose pathétique

une rose synthétique

qui naguère pour une âme fut

l’Unique

.

Las !  les épaves de nos vies

s’éloignent indolentes

avec les dieux déchus

que porte une eau indifférente.

.

1 – Dante, La Divina Commedia

.

.

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Cécile Oumhani

.

Écrits du vent et de la pluie

journal d’un lent passé

qui lira leur encre

trempée à la sève des nuages ?

ils s’enchevêtrent aux entailles

de canifs inconnus

saisons posées puis laissées

simples oiseaux en transit

au grand débarras de nos rêves

des voix soupirent

égarées dans la nuit des pierres

une plante en chemin vers le jour

germe en secret

nourrie par la parole des mains

au doux faufil de la lumière

.

à l’infini les vies se nouent

puis se renouent

passées de main en main

l’eau du temps

sans relâche lave

leurs désirs en éclats

quelles ombres se penchent

et murmurent au soir

depuis l’arche du vieux pont ?

mots du vent et de la pluie

patients bris de pierres

offerts à l’énigme du jour

.

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Brigitte Besos

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L’Arbre-mémoire

.

L’ olivier millénaire a entrouvert l’ azur

Au-dessus des murets qui effritent leurs pierres…

Une force émeraude, ombragée de vieux lierre

Rejaillit de la roche en montant vers le ciel.

L’ Arbre écarte ses hautes ramures de chevreuil

Encore enchantées par les feuilles :

Quatre troncs en tourelle hachurant le vide

Château en ruines pour habiter ailleurs

L’entre-espace fuyant aux meurtrières du temps …

A bout d’usure entre les chemins creux ,

L’Arbre dresse sa tour végétale

Sous les restanques bleues

Des citernes aux voix anciennes,

Redonnant par milliers des olives rosées d’encre noire.

Que d’onctions et de signes en lettres sacrées

Pour bénir d’huile d’or, les vivants et les morts !

L’ Arbre chuchote ses mystères de lézardes

Infiltrées de clairs de lune et de cris d’oiseaux.

Dans le tréfonds de ses trous , bosses et arcades,

Vit un peuple de fées et de diables cornus

Aux chants glacés de nuit et secrets de rosée…

Un souffle entorsadé de vent et de sève dorée

Incante ses troncs gris aux fémurs de bois noir

Tout annelés d’ ivoire…

Le cours du temps s’inverse au fond de l’Arbre sage

Qui prend racine  en la lumière des collines .

La nuit, à travers l’olivier en clair obscur bleu vert ,

Un masque ancien perce soudain mes yeux ouverts

De visions claires et de poussière d’étoiles…

.

.

Gérard Le Goff

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Coecilian

J’ai fait inscrire sur un entablement de mon manoir ces mots orgueilleux peut-être : « Ici j’ai découvert la vérité du monde.« 

Saint-Pol Roux

Elles semblent rivées au ciel bas

ces tours brumeuses,

sans une racine pour les lier au sol.

Des lambeaux de murailles

esquissent une ossature d’ombre

et révèlent au bas de la falaise

le mirage mouvant de la mer,

dont l’orbe incertain

s’inscrit dans les ajours de la pâleur.

Des semblants de ponts coupés

s’échinent à ne plus rien joindre.

Château rêvé par un voyant

pour découvrir la vérité du monde.

Maison battue par la galerne,

giflée par la tempête, mais tenant bon.

Manoir incendié par la guerre,

détruit par la furie des hommes,

devenu fantôme de rocaille et d’herbes folles.

Au loin, la lande rase

brodée de bruyère mauve

que rehausse l’or de fleurs sauvages,

les alignements de pierres levées,

si drues contre le vent,

attestent la permanence des légendes.

De grands oiseaux gris et blancs

tournoient avec l’arroi des nuages

et emportent au loin de Coecilian,

mêlées au-dessus de l’écume,

les espérances des justes

et la haine des bourreaux.

.

.

Diane Regimbald

.

Allées des langues

.

le sommet s’étourdit du vent

des langues

qui se défont

s’atrophient se démembrent

se refont

au vif de lumière

.

des étiolements de matières

et des apparitions parfois

de lettres perdues

presque effacées

presque duveteuses

du vert des mousses

.

la disparition signe l’absence

et l’oubli

des pierres défaites

comme poudre de craie

des voix en écho manifestent les désolations

voix inattendues

dans l’étreinte appelée

.

je me retourne

comme statue de sel je reste là

figée

témoin des mouvements des idiomes 

regard marqué par ce qui est encore inscrit

dans l’entaille

.

.