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3 – Marilyse Leroux – Constantin Enache – Albertine Benedetto – Jean-Michel Bollinger – Pierre Rosin (images et texte) – Dominique Hecq – Eva Garcia – Fabien Maréchal (poème) et Fabienne Quinsac (image) – Nadine Travacca – Patrick Joquel
4 – Françoise Coulmin – Perle Vallens – Dorothée Coll – Sandrine Davin – Richard Roos-Weil – Chantal Godé-Victor (poème et image) – Olivier Bastide – Yomi (dessin) & Natha de Courson (poème)
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3
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Marilyse Leroux
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J’imaginais un cercle
où vibrait le peu
que je savais
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Je m’y allongeais
sans effort
pour la grâce
de me savoir inclus
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C’était un cercle
que rien ne refermait
ni le geste ni la présence
tout autour
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Le vent y spiralait
selon son humeur
ou la mienne
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À lui seul il dessinait
une autre forme
à la pensée.
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Marilyse Leroux, qui explore plusieurs genres d’écriture, est avant tout poète. Elle a publié une trentaine d’ouvrages dont le dernier, paru aux éditions Rhubarbe, s’intitule Les mains bleues (sélection Prix Jean Follain). Lauréate du du Prix des Écrivains Bretons pour Le temps d’ici en 2014 et Prix Maram al-Masri en 2018 pour Le sein de la terre, elle aime associer ses mots aux œuvres des artistes : photographes, peintres, sculpteurs, musiciens…
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Constantin Enache
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Septuaginta
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Constantin ENACHE (né le 17 décembre 1990, Roumanie). Metteur en scène, chorégraphe, acteur, peintre, auteur, écrivain, formateur et danseur indépendant. Il devient connu pour la combinaison des éléments de la philosophie orientale et occidentale en créant son propre langage unique et pour la fusion opposée et unie, comme le mouvement et le calme, le son et la paix et la tradition et l’innovation – son approche esthétique étant interdisciplinaire. https://constantinenachedanse.wordpress.com/2021/06/16/les-peintures-proposees-et-realisees-par-constantin-enache-france/
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Albertine Benedetto
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Je suis la traversée
la respirante
la balbutiante
la chavirée
l’envolée et la chute
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le poème fait signe
cela commence
cela s’ouvre
quelque part
cela plonge
cela cherche
et creuse
.
le mot affouille ma chair
sonde les reins
remonte en souffle
du ventre
à la cavité de ma bouche
.
c’est comme une danse
sur le fil tranchant de la pensée
un défi à la face du silence
« un éclair – puis la nuit »
flux ténu têtu
la grâce d’un pas après l’autre
sur le corps énorme du monde
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Albertine Benedetto écrit, dit ses textes et ceux des autres, anime des ateliers d’écriture à l’occasion, liés à sa pratique de la danse Téhima. Elle co-dirige l’association Liber-Libra. (www.liberlibra.com) Son dernier livre : Sous le signe des oiseaux, éd. L’Ail des ours, février 2021. En préparation : une sortie de résidence avec la poète amie Eva-Maria Berg sur « Mémoires du Rhin ».
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Jean-Michel Bollinger
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Entrelacs du corps et du texte
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Nuit
lampe de chevet
cahier saisi au sol
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Une intention a troublé mon sommeil
je dois
selon un ordre informel
ouvrir les pages et saisir le stylo
accepter une frénésie de la main
qui dépasse ma raison
pour jeter deux ou trois vers
qui viennent troubler mes yeux de myope
images données dans l’instant
ou régurgitées par l’esprit depuis des jours
.
Posés les mots la lumière s’éteint
je me rendors
le corps lourd et libre la cervelle
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Relire au matin cet assemblage obscur
libère une poétique d’imposture
une écriture hachée
détachée de ma familière calligraphie propre et soignée
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Un lycanthrope hétéronyme
a joint ses griffes à mes doigts
pour impulser la coulée d’une encre
lacérant le tracé de l’interligne
vomissures de mots floutées de mes souvenirs
et qui appellent de conscientes souffrances pour terminer le poème
.
Je feins alors d’ignorer que c’est moi qui fais trembler la page
?
Jean-Michel Bollinger : Les éditions du Passavant ont publié son premier recueil de poèmes en décembre 2022 « Pénombres, lampes & lumières ». Ses textes se trouvent dans diverses revues de poésie : 2000 Regards, Voix d’encre, Traversées… Il a récemment participé à l’anthologie du site Jeudi des mots sur le thème de la nuit. Quelques-uns de ses textes ont été lus au festival Embarcadères à Esnandes, non loin de La Rochelle, fin octobre 2023.
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Pierre Rosin
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J’aurais pu
pour souligner l’appétence d’écrire
à la calligraphie des corps
ajouter un crayon
et une feuille
ou quelques mots
ou encore
selon mon humeur
tracer la courbe d’une faux
un arc en ciel
une grisaille pluvieuse
un grand soleil ou les douceurs d’une nuit profonde
les formes ondoyantes
d’une silhouette qui danse
et les musiques de la vie
celles qui font vibrer en nous
notre âme
tam tam
le corps
accordéon
et la peau
poésie
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Pierre Rosin écrit et peint. Dans ses dessins, les lignes s’entremêlent, et finissent par représenter un personnage. Souvent à ses images sur ordinateur et peintures à l’huile s’y accrochent des mots. Cinq de ses recueils de poésie ont été édités et il a illustré plusieurs autres poètes. Il vit à Poitiers.
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Dominique Hecq
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Heart beating with shadow
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An inverted slice of sky falls into waves with diamond quills. In the fiction room, the depth of night disgorges its obscurity, and the cold that numbs you gradually lays its acid tongue on the back of your neck. The rhythm of the swell rhymes your pulse. Heart beating with shadow, you lean into the dark. The energy that surrounds you laps at your ears. First star. Ebullience. For a moment your body soars inwardly. Out of control. Overflow of limits. It slows. Your hand holds back the bleeding moon. Hovers over phantoms. Abolishes perspective. The uncanny feeling that your hand is writing, tracking the emergence of matter from before words. You listen for the sound of moth wings whispering on the shivering breeze. Rush of breath. Dull anguish, ready to drown desire. Quiver. Scuff of letters. Your gravity becomes ink. Chrysalis calligraphy.
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Cœur battant d’ombre
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Un pan de ciel inverse, plonge dans les vagues aux piquants de diamant. Dans la chambre aux fictions, la profondeur de la nuit dégorge son obscurité, et le froid qui t’engourdit peu à peu pose à ta nuque sa langue acide. Le rythme de la houle rythme ton pouls. Coeur battant d’ombre, tu te penches dans le noir. L’énergie qui t’entoure clapote à tes oreilles. Première étoile. Exubérance. Pendant un moment ton corps s’élance intérieurement. Hors repère. Débordement de limites, ça ralentit. Ta main retient la lune qui saigne. Elle plane par-dessus les fantômes. Abolit la perspective. L’impression étrange que ta main écrit, traque le surgissement de la matière d’avant les mots. Tu es à l’écoute du murmure d’ailes de papillons de nuit. Brise frissonnante. Souffle précipité. Inquiétude sourde, prompte à noyer le désir. Frémissement. Éraflure de lettres. Ta gravité se fait encre. Calligraphie chrysalide.
. trad. de l’autrice.
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D’origine belge, Dominique Hecq s’est exilée en Australie. Docteur ès lettres en langues germaniques, elle est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages (poésie, essai, prose, traduction) en anglais et en français. Récemment, en poésie, Endgame with no Ending, Prix James Tate, aux Editions SurVision à Dublin (2023) et Pistes de rêve / Songlines, aux Editions Transignum à Paris (2023).
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Eva Garcia
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La Lumière des mots.
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Le corps est un oiseau
qui survole l’écriture
Il se fait si léger
quand de la plume obscure
naît la lumière des mots
Le poème en cadeau
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Les pensées rassemblées
pulsent à coeur ouvert
Le corps est oublié
Frissons de l’Univers
Tissu d’humanité
tissé en quelques vers
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L’essence même de la vie
promettent les histoires
Les mots en elixir
cachés dans un grimoire
dénudent l’avenir
que l’on ne sait pas voir
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Le Poète en sagesse
est le dépositaire
de la grâce la noblesse
d’une vie ses mystères
Oser le fil des mots
le partage en cadeau
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Éva GARCIA – Licence et Maîtrise de Littérature Espagnole, Infirmière en Études Épidémiologiques, Membre de la Société des Poètes Français, Prix de Poésie libre des Joutes Littéraires de Lyon en 2019, UN ÉTÉ ANDALOU est son premier roman poétique publié en 2022 à compte d’éditeur chez MVO Éditions.
Présente dans plusieurs anthologies, recueils collectifs, revues.
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Fabien Maréchal
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Entaille
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Chaque jour s’en relever
puisqu’à nul ne suffit sa peine
mais comment le dire
tout le poids porté
sur l’unijambe du crayon
qui voudrait cavaler
plus vite que la muse
sur un drap de papier
étendue, alitée presque.
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Mais d’abord : debout !
redresser à mains nues
les points d’interrogation
non tant pour y répondre
que pour grimper le mât
où accrocher les mots.
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Un vent peut-être les agitera
qui fera sonner là-haut
plus fort qu’ici-bas
d’enfance ou lèpre le grelot
des vivats ! des haros !
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Puis en ressemer les graines
sarcler les pousses en terreau
enfin les récolter au soir
sans les couper – oh non !
Les repiquer, libres,
à peine humidifier
et, reposant l’arrosoir,
lécher l’entaille sur sa peau.
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Fabien Maréchal : Journaliste, animateur d’ateliers d’écriture, pêcheur à la ligne, jardinier du lundi, insomniaque lunaire… A publié : Nouvelles à ne pas y croire (Dialogues, 2012), Dernier avis avant démolition (Antidata, 2016), Protection rapprochée (Lunatique, 2017), Plus personne pour aujourd’hui (Le Réalgar, 2022), L’Attendeur (titre provisoire, Le Chant des Voyelles, à paraître), ainsi que des nouvelles et poèmes dans près de trente ouvrages collectifs et revues. www.fabien-marechal.fr
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Nadine Travacca
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Les jours de traîne
quand bien même
hors cadre
je sème des mots
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Tire des bords
divague
grappille du large
Chienne boiteuse
je rôde
fouille la vase
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Quelquefois
ricoche une rime
m’en fais un festin
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Nadine Travacca, née au bord de la mer, vit en Savoie. Plusieurs textes publiés en revues papier et numérique ou en anthologies, pratique également la lecture à voix haute pour le plaisir de dire et partager les mots des autres.
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Patrick Joquel
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aurore
le quartier chante ses merles
mille autos confinées silencent derrière les portails clos
je marche en fraîcheur
ciel bleu pur
aucun nuage
juste un envol de pigeons
un merle et la nostalgie des goélands
juste regarder le soleil jouer à ombre où vas-tu ?
ombres des arbres
ombres des maisons
ombre de mon corps
mouvante
éphémère et silencieuse
traverser le monde avec la même fluidité
glisser
ne rien retenir
glisser
juste glisser
paisible et léger sur la Terre
avec un sourire aux pieds
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un si léger sourire
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Patrick Joquel voir www.patrick-joquel.com
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4
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Françoise Coulmin
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Las, ce froid / Un Baillon sur la nuit
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Perle Vallens
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J’interroge la localisation des mots
avant surgissement
leur emplacement précis
dans quel organe quel recoin du corps
savoir où ils nidifient
deviner où ils naissent de quelle absence
où leur percée au grand jour
sur quelle parcelle de la peau
.
Je pourrais les géolocaliser avec une meilleure acuité
avec un gps mieux orienté une sonde un tracé plus fin
dans les cellules
dessiner les contours des mots
durant leur gestation
les enregistrer bien avant en écoutant
de quelle cavité ils émettent
ces ondes sonores ces ultra-sons qui pulsent en moi
jusqu’à ce que je les éjecte
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C’est par impatience de l’envol d’un verbe
qui se laisse espérer
l’attente du mot juste et l’appétit tenace
d’un souffle vivace d’une vibration
c’est pour la caresse d’une seule syllabe
ou pour la grâce d’une phrase sinueuse
terminant sa course en tension du ventre
jusqu’à la bouche
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Dans sa Provence d’adoption, Perle Vallens écrit et photographie, travaille le son et la vidéo, publie en revue et recueils collectifs. Autrice d’un livre de photographie sur l’enfance, Que jeunesse se passe (éd Jacques Flament), et d’un recueil personnel, ceux qui m’aiment (éd Tarmac).
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Dorothée Coll
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Dire ou écrire
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Sit-in sur ma langue
Les mots attendent
en cercle
sagement
manifestent
silencieusement
.Par chance
ils n’ont pas fait de feu de camp
aucun n’a apporté sa guitare
Ils ne discutent même pas entre eux
Ils attendent
sagement
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Ce sont des pacifistes
des mots hippies, peut-être
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Je n’ouvre pas la bouche
que personne ne les voie
Et puis…
s’ils s’échappaient
spontanément
sans réfléchir
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Mieux vaut sans doute les ravaler !
Ils reviendront s’ils veulent sortir
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Peur de parler
Se taire… me taire
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Mais ne pas surveiller mes doigts
courant sur le clavier
dans le bruit innocent des touches qui cliquètent
qui dévoilent mon corps et explorent mon cœur
impudiques
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Dorothée Coll vit en Corse où elle trouve son inspiration. Elle a publié plusieurs recueils de poèmes dont deux en 2023 : « Terre d’accueil » aux éditions Fabulla, et « Les autres au tamis du regard » chez Jacques Flament.
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Sandrine Davin
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Esprit torturé
Chair qui se froisse
A chaque battement
De cœur
De mots
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Main ridée
Sur le papier
Regard fuyant
Vers le néant
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Papier froissé
Papier déchiré
Corps et mots égratignés
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Sandrine DAVIN est née le 15/12/1975 à Grenoble (France) où elle réside toujours. Elle est auteure de poésie contemporaine inspirée des haïkus et tankas, elle a publié 17 recueils de poésie dont le dernier s’intitule « Verrous » chez Z4 Editions.
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Richard Roos-Weil
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Lévitation
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Eaux et nuages
Enlacés
Gérard Bayo
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L’apaisement ressenti
Dans le voisinage de ta voix !
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Le clair langage
Enfin retrouvé
Et l’avant le plus tard
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Puis le froid de nouveau
Le courant qui de ce côté-ci s’amenuise
Le corps avance ne s’échappe pas
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N’ai pas trouvé la note
Cette simple vibration sans chemin
Cela commençait par un déjà vu
Déjà entendu
Et la main se crispait
La voix dérapait disait un mot pour un autre
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Tu cherchais entre le haut de la porte
Et le plafond
Un espace une faille
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Richard Roos-Weil travaille dans un centre de santé , a publié quelques textes , les derniers : Nous n’écrivons pas de poèmes mais des repentirs (les Lieux dits, cahiers du loup bleu ,2022. )et Aller à cru (À l’index , 2023 )
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Chantal Godé-Victor
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Chantal Godé-Victor vit à Bayeux (14). Elle peint, dessine, travaille la terre, écrit, publie poèmes et illustrations dans des revues et anthologies, ( Poésie sur Seine, Libelle, Cairns,Traction Brabant, Luna Rossa… ). Paru dernièrement aux Editions Donner à voir, son livret poétique « Et je marche », textes et dessins de l’auteure. Page Facebook : Chantal Godé-Victor.
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Olivier Bastide
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Tentative oraculaire récurrente
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Dès le premier mot la première parole
d’air et de chair
le constat d’appauvrir le silence
les signes sont de vent de lignes
inscrivent un corps à corps définitif avec le néant
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il en sort une brassée nouvelle
ce qui jamais n’a émergé
un verbe droit comme statue
une confirmation
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sans doute mon bras
sans doute mon nez
sans doute mon œil
sans doute ma voix
sans doute mes pas
sans doute mon esprit expurgé de mon crâne
et qui existe seul
en toute autonomie
me fait face
sort de ma bouche
se dit poème…
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Olivier Bastide est né à Carpentras dans le Vaucluse. Il pratique l’écriture poétique et la photographie. Son dernier recueil, « Ponctuation forcenée de l’ordre des choses », est paru chez Tarmac en 2022.
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Yomi et Natha de Courson
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(quand j’écris je suis
furtive
avec un corps de taupe ou de martre
un corps rugueux qui pousse et qui gratte
et ronge et rogne et renfrogne
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j’ai aussi un corps interne
avec un côlon un iléon
un viscère qui grouille gargouille
et flatule et borborygme
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et aussi un souffle
court
avec des doigts qui brouillent gribouillent
cro-
-quent l’impair et
cassent les billes
bourre et barre et
tripatouille
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(c’est Gros Jean comme devant
que le corps poétique intimide
(….) (…..)
(…) (….))
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Yomi et Natha de Courson ont été élevées à Madrid. Natha a publié une thèse sur Nathalie Sarraute, un récit aux éditions Isabelle Sauvage, et des traductions de la poète Estela Puyuelo aux éditions Olifante. Yomi a fait des études d’arts plastiques. Elle dessine, peint, pastellise, écrit des biographies, taille les pommiers et les rosiers de son village dont elle a été maire.
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1 Comment
Du nouveau dans le Jeudi des mots – Attrape-rêves
[…] s’agit cette fin d’année dans le Jeudi des mots d’aborder le corps du poète, depuis le corps des mots, où comment dans le corps nous vient […]