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Née en Ombrie, à Todi, en 1947, la poète et traductrice Patrizia Cavalli, qui vivait à Rome depuis 1968, vient de disparaître des suites d’une longue maladie, à 75 ans, le 21 juin 2022.
Elle laisse un grand vide dans le panorama italien de la poésie. Son travail a été acclamé dans le monde entier pour sa capacité à transmettre de façon vivante et claire les nuances du sentiment humain, sans négliger les plus douloureux, les plus complexes, les plus difficiles à exprimer. Après avoir obtenu son diplôme en Philosophie, elle publie chez Einaudi, en 1974, Mes poèmes ne changeront pas le monde, recueil né de sa relation avec Elsa Morante, qui eut une grande importance dans le développement de sa production littéraire.
Au cours de sa carrière, elle a obtenu le prix Viareggio de poésie pour Sempre aperto teatro, en 1999; et, en 2006, le prix international de poésie Pier Paolo Pasolini, et le prix Betocchi – Città di Firenze en 2017.,
On peut lire en français, Mes poèmes ne changeront pas le monde, dans la traduction par Danièle Faugeras et Pascale Janot aux éditions des femmes (,2007). et chez Payot & Rivages, avec Toujours ouvert théâtre, traduction par René de Ceccatty (2002).
Je propose ici ma traduction de trois poèmes extraits de son recueil Una Vita meravigliosa qui donnent un aperçu de ses thématiques et de sa façon de traiter la poésie et le monde, et un poème de “Il cielo”, in Patrizia Cavalli, Poesie (1974-1992), Einaudi, Torino, 1992
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Sono di mattina nevicata
dal calo bianco addormentato,
lasciando le spalle agli spigoli
aspetto i disegni involontari
le pieghe delle nuvole,
nei fermenti delle sedie
la nascita dei suoni.
Allora, sicura del vortice,
lascio che i versi si sciolgano
nell’incidente della rima
dove gli incontri si inteneriscono
e chiusi nell’apparente parentela
si concedono all’estasi.
C’est un matin de neige
Endormi de blancheur chue,
Tournant le dos aux arêtes
J’attends les dessins involontaires
les plis des nuages,
dans l’effervescence des chaises
la naissance des sons.
Alors, assurée du vertige,
Je laisse les vers se fondre
dans le hasard de la rime
où les rencontres s’attendrissent
et encloses dans l’apparente parenté
s’abandonnent à l’extase.
*
Quel verde che, secondo gli studi sul cervello,
non dovrebbe in sé esistere, proprio non dovrebbe
se non nel nostro attrezzatissimo cervello,
è cosí bello, cosí assolutamente
irresistibilmente bello, ha sfumature
talmente nuove, talmente sconosciute,
che io non posso credere che dipenda da me, dalle mie cellule.
Lui mi sorprende, esiste in sé e la luce
lo sorprende.
Ce vert qui, selon les études sur le cerveau,
ne devrait pas exister en soi, vraiment ne devrait pas
sinon dans notre cerveau bien équipé,
est si beau, si absolument
irrésistiblement beau, a des nuances
si nouvelles, si inconnues,
que je ne peux pas croire qu’il dépende de moi, de mes cellules.
Lui, me surprend, il existe en lui-même et la lumière
le surprend.
*
Lemme lemme in bicicletta se ne andava
stancamente pedalava,
avrà visto la mia sciarpa rosa ardente?
Sans se presser, sur son vélo il s’en allait
il pédalait péniblement,
il aura vu mon écharpe d’un rose incandescent ?
*
Adesso che il tempo sembra tutto mio
e nessuno mi chiama per il pranzo e per la cena,
adesso che posso rimanere a guardare
come si scioglie una nuvola e come si scolora,
come cammina un gatto per il tetto
nel lusso immenso di una esplorazione, adesso
che ogni giorno mi aspetta
la sconfinata lunghezza di una notte
dove non c’è richiamo e non c’è più ragione
di spogliarsi in fretta per riposare dentro
l’accecante dolcezza di un corpo che mi aspetta,
adesso che il mattino non ha mai principio
e silenzioso mi lascia ai miei progetti
a tutte le cadenze della voce, adesso
vorrei improvvisamente la prigione.
Quante tentazioni attraverso
nel percorso tra la camera
e la cucina, tra la cucina
e il cesso. Una macchia
sul muro, un pezzo di carta
caduto in terra, un bicchiere d’acqua,
un guardar dalla finestra,
ciao alla vicina,
una carezza alla gattina.
Così dimentico sempre
l’idea principale, mi perdo
per strada, mi scompongo
giorno per giorno ed è vano
tentare qualsiasi ritorno.
Addosso al viso mi cadono le notti
e anche i giorni mi cadono sul viso.
Io li vedo come si accavallano
formando geografie disordinate:
il loro peso non è sempre uguale,
a volte cadono dall’alto e fanno buche,
altre volte si appoggiano soltanto
lasciando un ricordo un po’ in penombra.
Geometra perito io li misuro
li conto e li divido
in anni e stagioni, in mesi e settimane.
Ma veramente aspetto
in segretezza di distrarmi
nella confusione perdere i calcoli,
uscire di prigione
ricevere la grazia di una nuova faccia.
E’ tutto così semplice,
sì, era così semplice,
è tale l’evidenza
che quasi non ci credo.
A questo serve il corpo:
mi tocchi o non mi tocchi,
mi abbracci o mi allontani.
Il resto è per i pazzi.
da “Il cielo”, in “Patrizia Cavalli, Poesie (1974-1992)”, Einaudi, Torino, 1992
Maintenant que le temps semble tout à moi
Que personne ne m’appelle pour déjeuner et dîner,
maintenant que je peux m’attarder à regarder
comment fond un nuage et comment il s’estompe,
comment marche un chat sur le toit
dans le vaste luxe d’une exploration, maintenant
que chaque jour m’attend
la durée sans limite d’une nuit
où il n’y a pas de désir et plus de raison
de se dévêtir vite pour reposer dans
l’aveuglante douceur d’un corps qui m’attend,
maintenant que le matin n’a jamais de début
et silencieux me laisse à mes projets
à toutes les cadences de la voix, maintenant
Je voudrais tout à coup la prison.
Combien de tentations dois-je traverser
dans le parcours entre la chambre
et la cuisine, entre la cuisine
et les toilettes. Une tache
sur le mur, un morceau de papier
tombé à terre, un verre d’eau,
un coup d’oeil par la fenêtre,
bonjour à la voisine,
une caresse à la petite chatte.
Ainsi j’oublie toujours
l’idée principale, je me perds
en route, je me décompose
jour après jour, il est vain
de tenter un retour.
Sur mon visage tombent les nuits
et les jours aussi tombent sur mon visage.
Moi, je les vois se chevaucher
formant des géographies désordonnées :
leur poids n’est pas toujours le même,
parfois ils tombent d’en haut et font des trous,
d’autres fois, ils se penchent simplement
laissant un souvenir un peu obscurci.
Géomètre expert je les mesure
les compte et les divise
en années et en saisons, en mois et en semaines.
Mais en vérité j’attends
en secret de me distraire
dans la confusion de perdre les comptes
de sortir de prison
de recevoir la grâce d’un nouveau visage.
Tout est si simple,
Oui, c’était si simple,
D’une telle évidence
que je n’y crois presque pas.
Voici à quoi sert le corps :
tu me touches ou ne me touches pas,
tu m’embrasses ou je m’éloigne.
Le reste est pour les fous.
trad. Marilyne Bertoncini
retrouver la poète dans un entretien avec Roberta Scoranezza pour Corriere.it
et en lecture dans une vidéo :