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Très touchée par ce poème hommage-mémoriel très personnel inédit retrouvé par l’auteur, qui écrit : « Je l’avais offert en 1982 à ma compagne Marie, l’amie de Cécile en 1941 et 1942, au lycée d’Annecy, quand Cécile fut emportée par les nazis pour disparaître à jamais …
Cécile avait 15 ans et demi, Marie en avait 12 et demi. »
Je vous l’offre ici, à la mémoire de tous les disparus des massacres, de toutes nos guerres, afin que les mots les maintiennent, ombres vives parmi nous :
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Si par où commence la ténèbre est aussi
la mi-voie au tracé calciné de la vie,
si par ma voix, Cécile, un souvenir aussi
trace les brumes sombres et l’air noir d’entre-vie,
si ton oeil creux d’oiseau perdu s’enlarme et si
ma mémoire lointaine ouvre tes lèvres mortes,
silence-nous l’avers de ton ciel bleu roussi.
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C’est en quarante et un …
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C’était l’année funeste aux crayons Debussy,
toi, Marie « Tourterelle », au lycée d’Annecy
tu perdais tes repères … alors elle est venue,
la grande amie bleu mauve au coeur d’or et si clair.
Cécile au nom glycine.
Le banc sous la glycine écoutait vos silences
et fleurait bon la vie, les odeurs de soleil.
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Enfant des nuits de lune à cime d’arbre bleu
enlacée par le vent en plaintes qui murmurent,
tu es entrée de nuit dans le chant de l’oiseau,
qui s’abreuve à la source où l’espoir rêve encore.
Marie aux yeux d’azur.
Et ta main se nourrit de peindre à coeur battant
le souvenir ardent de l’amitié sans fin.
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Et puis s’en vint la neige et le froid qui s’englace
quand sans nul feu de grâce il n’est plus que danser
la valse et le tango pour tromper la tristesse.
Toi tu ne dansais pas comme s’il n’était plus rien …
Cécile aux yeux tranquilles.
Dans ton regard de mer j’ai vu glisser un voile :
« Je vais mourir bientôt » m’as-tu dit sans ciller.
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C’est en quarante deux …
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C’était le froid novembre dès après la Toussaint,
les heures du matin semblaient sonner le glas
quand sont parus les aigles aux ornements de mort
bottés de l’épouvante à marteler la vie.
Le destin sans issue.
« Lionceau », Gabrielle, a résisté en vain,
rattrapée, emportée dans la fureur féroce.
Et toi je t’ai cherchée, l’étoile dans le coeur.
Deux longs jours de misère, toutes ont tourné la tête
Et fuyant mes regards dirent d’un air mauvais
« Elle ne reviendra plus car sa place est ailleurs ».
Et je n’ai pas compris.
« Il est des camps aimables pour ceux qui sont comme elle! »
Tu n’avais que quinze ans sous ta tignasse d’or …
Les autres s’amusaient, toi Marie tu pleurais.
Ton sourire d’enfant sur des lèvres d’amour
au loin s’en est allé aux wagons sans retour,
au sérieux qui sait bien l’injustice et la mort.
Dans un manteau bleu mauve.
Cécile était partie, partie sans se débattre,
et ton destin scellé, ce serait de te battre.
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A résister dans l’ombre et l’infini du vrai
quand la mémoire héberge en secret ses enfants,
le monde est en pension caché dans ses greniers,
c’est le monde de l’ombre où gisent les silences.
Les codes de la vie.
Je suis allé aussi, Marie, sous la Glycine
et nous avons souri ensemble avec Cécile …
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Moi j’ai gravé les mots où dort son souvenir.
Quarante années plus tard au lieu des forgerons
nous allons toi et moi déserter le silence,
au banc de la mémoire, rêver son infini.
Sous la douce glycine.
Regarder ceux qui passent au bord de la Cléry
et préserver à l’ombre un air de liberté.
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Il a chanté la mort, le fils du maudisseur,
il a trahi l’accord sur son clavier maudit,
il a brisé ton sort au tabou du destin.
Les voyelles ont pleuré ton mourir innocent.
Au minuit de ta vie.
Les voyelles ont dansé l’archet du violon
Les voyelles ont volé ta mort à ton bourreau.
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Le poète est maudit qui va chanter l’espoir
pour mériter de perdre une vie qui l’obsède,
le souvenir brûlé du soleil qui se cache,
sa mémoire infinie, l’avenir du passé …
La lumière au temps mort.
Il trépasse à son tour aux rives inconnues.
mais son triste visage est l’amour qu’il appelle.
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Si par où commence la ténèbre est aussi
la mi-voie au tracé calciné de la vie,
si par ma voix, Cécile, un souvenir aussi
trace les brumes sombres et l’air noir d’entre-vie,
si ton oeil creux d’oiseau perdu s’enlarme et si
ma mémoire lointaine ouvre tes lèvres mortes,
silence-nous l’avers de ton ciel bleu roussi.
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