.

Jean Lavoué (France), Chen Hsu Chen (Taiwan) trad. Elizabeth Guyon-Spennato (Malte-France), Rolf Doppenberg (Suisse), Eva-Maria Berg (Allemagne), Yannick Resch (France), Christine Durif-Bruckert

.

Reste-t-il encore des oiseaux à contempler

Dans le ciel d’Ukraine,

Y entend-on toujours leur chant ?

.

Trouvent-ils encore

Des arbres pour les inviter,

Des branches où se cacher ?

.

Ont-ils encore des nids

Pour s’abriter

En ce pays détruit ?

.

Ont-ils toujours le goût d’ouvrir leurs ailes

Pour s’élever dans la gloire des matins ?

.

Ont-ils à cœur de prophétiser pour l’homme

N’osant plus lever les yeux

Vers le soleil ?

.

La mésange bleue aux couleurs de la joie,

Que peut-elle bien comprendre

À ces forteresses noires

Trouant la paix du ciel ?

.

Que signifie pour elle cette sombre pluie

De monstres métalliques

Semant partout la terreur et la désolation ?

.

Quelle est donc cette folie

S’emparant soudain de milliers d’hommes

Voulant rivaliser avec l’éclair,

Avec l’orage ?

.

Ne voient-ils pas maintenant la mort de tous côtés,

Nos oiseaux,

Volent-ils encore vers leur naissance ?

.

Sont-ils toujours complices du vent,

Hôtes familiers des jardins en fleurs,

Sauront-ils encore cette année

Qu’il existe un printemps ?

.

C’est pourtant au fond des cœurs

Que battent toujours leurs ailes

Aux couleurs de l’espérance :

.

Dans leur douce fragilité,

Humble et victorieuse,

Le vulnérable talisman

De notre paix et de notre amour !

Jean Lavoué

父與女

小女兒的大眼睛

流下眼淚

每一顆眼淚都是子彈

擊碎男人的心

男人流下眼淚

像兩條河流

流進小女兒的心

氾濫悲情

送走遠去避難的妻女

男人擦乾眼淚

轉身扛起槍枝

不知道還有沒有明天

Chen Hsu Chen

Père et fille

Des grands yeux de la petite fille

Coulent des larmes

Chaque larme est une balle

Qui brise le cœur de l’homme

L’homme verse des larmes

On dirait deux rivières qui

Entrent dans le cœur de la petite fille

Où se répand le chagrin

L’homme envoie sa femme et sa fille chercher refuge au loin

Il sèche ses larmes

Se retourne un pistolet à la main

Ne sachant pas s’il y aura un lendemain

trad. Elizabeth Guyon-Spennato

regarde-les elles sont en marche

Une utopie est le germe d’un à-venir

regarde-les

elles sont en marche

je les vois

elles marchent

cela a commencé à Kiev

c’était une femme

elle marchait dans la rue

droit devant elle

au loin le grondement

des tirs de mortiers

dans ses pas une détermination

au début les gens la regardaient

passer

elle avançait

au beau milieu de la rue

mais où va-t-elle

d’un pas si sûr

elle se dirige hors de la ville

bombardée

une femme la regarde

passer

elle a compris

elle pleure

se ressaisit

laisse tout en plan

se met en marche

elle aussi

rejoint la première femme

elles sont deux maintenant

avancent

d’un meilleur pas

la route à deux

est un peu plus facile

à présent les gens s’arrêtent

à leur passage

interloqués

regardent leurs visages

elles ont trouvé un rythme

imperturbables elles avancent

de part et d’autre de la rue

des immeubles en feu

une troisième femme

les rejoint

elles avancent à trois

sur la rue désertée

leurs regards épousent

l’horizon

une jeune fille survient

se joint à elles

se sourient

les voilà quatre

sous les tirs de roquettes

un amie arrive

les voilà cinq

on parle d’elles

dans le quartier

un garçon vient

et puis sa mère

les voilà sept

on en parle bientôt

dans toute la ville

les sept avancent

et à chaque pas

d’autres se joignent

leur marche est un ruisseau

qui coule en pleine rue

et chaque personne qui vient

accroît ses eaux

se fait rivière humaine

hétéroclite

rivière de femmes

et d’enfants

d’autres rivières

se forment dans les rues

de la ville

s’écoulent

hors de la ville

encerclée

comme une étoile

à multiples rayons

rayons-rivières

rayons de femmes

et d’enfants

chaque rivière coule

vers le cercle de chars

nombreuses

elles approchent des chars

les soldats en arme

les voient arriver

ne savent que faire

que croire

même les commandants

sont désemparés

bien sûr les ordres

sont clairs

prendre la ville

coûte que coûte

mais elles ne cessent d’arriver

des milliers de femmes

et d’enfants

devant les chars

devant les soldats

en arme

vont-ils tirer ?

elles avancent encore

plus près

se mettent à chanter

du bout des lèvres

et puis plus fort

leur chant s’adresse

aux soldats

elles connaissent leur langue

maternelle

pensez à vos mères

là-bas

à vos sœurs à vos enfants

là-bas

sont-ils différents de nous

pensez à vos mères à vos enfants

sont-ils différents

là-bas

et on apprend que de nouveaux ruisseaux de femmes

et d’enfants

s’écoulent

dans tous le pays

vers tous les fronts

devant chaque char

devant chaque soldat

elles ne cessent de chanter

connaissent leur langue

maternelle

et puis alors affluent

des femmes à chaque frontière

de tous pays

convergent

en rivières

elles sont myriades

venues de partout

mains nues fronts hauts

au cœur un rayonnement

un soldat s’est mis

à pleurer

et puis un autre

les commandants sont perplexes

et puis l’un d’eux lève

son bras

salue sans bruit

la foule de femmes

et d’enfants

puis se retourne

laisse ses armes

et s’en va

à pied

s’en retourne

là-bas

d’où il est venu

à pied

comme les femmes sont venues

à pied

les autres soldats se regardent

ils ont ordre de tirer

mais ils se lèvent

aussi

abandonnent leurs chars

et leurs mitrailleuses

et s’en vont

à pied

s’en retournent

là-bas

d’où ils sont venus

s’en retournent

tous

à pied

Rolf Doppenberg

^.

die kinder

sind ohne helm

geboren

und für

vernichtung nicht

geschaffen

sie müssen

nach dem ersten

lachen

die kraft

entwickeln

nein zu sagen

Eva-Maria Berg

les enfants

naissent

sans casque

et ne sont pas

faits pour

la destruction

ils doivent

après leur

premier sourire

développer

la force

de dire non

trad. Eva-Maria Berg

.

Comme nous tous

ils rêvaient peut-être

à l’arrivée du printemps

mais très vite le temps

a basculé dans le chaos

des jours et des nuits

la barbarie a rétréci

l’espace d’un pays

et semé la terreur

dans le ventre

des villes paisibles

nous avons partagé

les regards hallucinés

sur les façades en feu

sur les vitres soufflées

des maisons éventrées

nous avons écouté

les cris de détresse

et souvent admiré

les éclats de vie

la farouche volonté

 de résister

et nous pouvons écrire

en ces jours de ténèbres

que le courage est infini

la liberté invincible

écrire ce mot de lumière

      PAIX

Yannick Resch

.

Chant d’espérance

Les chœurs

Surgis du chaos

Retiennent la fougue

Respirent les vagues mortelles

Parlent le silence

Mordent à pleine dent les pierres sataniques

.

La marche infinie de ces voix remontent le long des fleuves glacés

Vers le centre

Toujours vers le centre

Vers les champs de l’amour

Et les versant ensoleillés

.

Ecoute ce chant

Il te fait danser

Nu pied

T’emporte

Et pénètre ton souffle

Il t’ouvrira des chemins de fraicheur

.                      

Ecoute ce chant au creux des battements de ton coeur

Ecoute le bien.

Christine Durif-Bruckert