x
3 – Eric Poindron – Susanne Derève – René Chabrière – Chantal Godé-Victor – Sandrine Daraut – Claire Lajus & François Coudray – Eva-Maria Berg – Catherine Pont-Humbert – Jacqueline Persini – Cécile Ossant – Dorothée Coll
x
pour lire les textes précédents, cliquer sur les liens :
x
x
Eric Poindron
x
Mon ami écrit des poèmes jaunes à l’encre mimosa comme d’autres étudient l’histoire ancienne des nuages anciens ; à l’image jaunie de Andhré des Gachons, cet aquarelliste discret et météorologue amateur qui, jadis, dans les plaines de la Champagne crayeuse et dorée relevait les couleurs et les humeurs du ciel, deux fois par jour sous la forme légère de presque 10000 aquarelles. Les rouilles et les ors. Les cieux de foin et de feu.
La nuit, c’était l’épreuve du classement et de l’archive.
Les ciels mauvais d’un côté, les taquins de l’autre.
Pour les hésitants, il hésitait.
Mon ami qui voit jaune n’hésite jamais.
Puisque les poèmes bleus sont déjà écrits, il s’occupe des jaunes perrosiens. Ça en fait des poèmes. Il ne faut pas se tromper.
Les poèmes jaunes sont les plus difficiles à exécuter car il faut savoir lire entre les jaunes.
Il faut aussi une bonne et longue vue – imaginer au delà des îles grecques et même de la Norvège n’est pas donné à tout le monde.
Alors mon ami se met à la tâche. Aux aguets aussi.
En conscience.
Par exemple, si la terre devient jaune comme une orange qui se prendrait pour un bleu de méthylène, mon ami écrit un poème sur le citron.
Mon ami n’oublie pas non plus que William Turner, à l’instant du trépas, déclara :
« Le soleil est Dieu. »
Alors mon ami prend ses aises dans le colza et le jaune de fin de saison puis fait un somme chez les
peintres de la moisson.
Ça n’est pas plus compliqué que ça même si c’est un peu plus compliqué.
Si vous tombez sur un poème jaune, soyez certain qu’il est de mon ami ; celui qui lit entre les saisons, les
doigts tout tachés de mimosa et de discrétion.
x
Susanne Derève
x
Les lices bleues du ciel
x
Les lices bleues du ciel
– lie éclatante –
dans leur dérive lente jusqu’au blanc
où ciel et mer joignent
le fil de cette mince ligne de crête
avant la brume – s’y perdent
x
On pourrait croire que tout s’achève ainsi
mais ce bleu ne s’épuise pas
non plus celui de la fleur byzantine
– nigelle que ma mère semait à la volée
la pierre d’Egypte
ou le bleu Klein
qui me prit un jour dans sa toile
à ne plus savoir si j’approchais ainsi
la perfection du vide
ou la pure innocence de l’art
x
L’éternité tient tout entière
dans cet azulejo de printemps
à peine griffé d’un vol de mouette
xxx
xxx
René Chabrière
xxx
Les couleurs se mélangent,
l’arc-en ciel est ici…
j’ai associé le jaune et le vert,
une pointe de rouge pour ce faire…
x
Un bal , une rencontre réussie
pour aimer se jouer
de leurs complémentaires…
x
un yin et un yang
qui, ainsi superposés,
ne sont plus en conflit.
x
Peut-être que les peuples tiennent ainsi
la solution des choses…
un peu de brun, un peu de rose
voisinant avec du gris…
x
Malgré tout le respect que je dois
à la préparation du fond
on y verrait pousser des fleurs
heureuses de lumière
x
c’est une sorte de fête
où les pinceaux se libèrent
dans l’improvisation
x
je reviendrai pour les finitions,
poser un vernis de bonheur…
x
x
Chantal Godé-Victor
J’ai vu soudain au milieu de la nuit
un volcan de flammes, bleu et rouge mêlés
en une gigantesque éruption de couleurs
comme surgies des antres de l’enfer.
.
C’est, dit une voix inconnue,
c’est la révolte de l’homme humilié
les pleurs de la forêt brûlée,
la terreur de l’enfant perdu dans la guerre
et les larmes chaudes de sa mère,
c’est la fureur de la terre blessée
et qui se meurt.
x
C’est, répliqua une voix intérieure,
c’est le soleil enivré qui danse,
et virevoltent les couleurs qu’il a créées,
c’est l’éblouissement face au regard qui se penche
sur le nouveau-né,
c’est la chaleur d’un dimanche,
le miracle de la branche qui s’incline
pour abriter la main qui tente de saisir
son mystère.
x
C’est la vie qui se réinvente
au bord de l’éternité.
x
x
x
Sandrine Daraut
x
xxx
xxx
Claire Lajus & François Coudray
.
Des Couleurs sans les dire
.
“Parmi les couleurs, une de moins ?”
Abdullah Sidran
“déchirants appels parce que rien ne peut les rendre efficaces si quelque amour ne nous y rend point sensibles”
Gustave Roud
x
Premières lueurs de l’aube sur les collines de Sarajevo. On a cru se noyer dans le puits du petit jour.
x
plus que du gris le reste de la palette enseveli comme tous
les jouets nous assistons accablées à
la frénésie des ogres
festin à l’abri de la poussière écran
sur le rouge cardinal partout
présent combien de gravas pour une vie ?
combien de bombes pour une carte ?
x
Alors on a calé notre respiration comme tremblent, frissonnent l’ombre d’une mésange sur la branche du bouleau, un anneau de rosée dans l’herbe des pavés, l’étoile d’une feuille morte sur les graviers, le roulis sourd du tram et ce morceau de ciel tombé dans la rivière…
x
battre le cœur ne sait que ça
une bombe l’arrête
un sniper le foudroie
battre vite la peur
sur terre résonnent
des blancs cris rouges
absorbent nos oreilles
martèle poing serré
contre ce qui nous heurte
battre le cœur ne sait que ça
même tout bas gêne
le néant arrogant
x
Et la lumière encore du sourire d’un crocus, hier sur la montagne, paume offerte comme un adieu, une caresse…
On se réchauffait là tout contre ce fragile. Abandonnés enfin au courant de ce jour on a cherché, ensemble, le chemin de ce chant où, un instant, peut-être reprendre et rendre souffle.
x
xxx
Eva-Maria Berg
x
deine augen sind bunt
und sprechen in tönen
die zahllose
nuancen auslösen
vom tiefen blau des wassers
dem du entstammst
und worin du wieder
versinken wirst
vom leuchtenden rot
dem verlangen nach
liebe und leben so wie
dem schmerz und verlust
vom glühenden gelb
das licht bringt ins dunkel
oder blind macht weil du
nichts anderes mehr siehst
deine augen sind weiß
und am ende stumm
doch sie tragen
alle farben in sich
x
x
tes yeux sont multicolores
et parlent en tonalités
qui font naître
d’innombrables nuances
depuis le bleu profond de l’eau
dont tu proviens
et dans laquelle tu vas
sombrer de nouveau
au rouge lumineux
du désir d’amour
et de vie autant que
du chagrin et de la perte
et au jaune ardent
qui porte la lumière dans l’obscurité
ou qui aveugle car tu
ne vois plus rien d’autre
tes yeux sont blancs
et finalement muets
mais ils contiennent
toutes les couleurs
trad. de l’autrice avec l’aide de M. Bertoncini
xxxx
x
xx
Catherine Pont-Humbert
xx
Ritournelle d’enfance
Toupie multicolore
Des images déchirées
Provoquent une avalanche
Dans le gouffre des lumières
x
Ça grince sous la couleur
Dans la profondeur
Sous la sève et la vie
Sous le vert tendre du pré
Des ossements en décomposition
La terre se délave en bruns
x
Ça pleure sous la couleur
Un long chant de complainte
Sous la clameur de l’infini
Sous le bleu océan
Appel déchirant des sirènes
x
Ça aime sous la couleur
L’incandescent coucher de soleil
Et derrière les amants réunis
Avec des mots de merveille
Rouge feu de l’amour
x
Attente d’une histoire à inventer
Fragment d’éternité
Sous les vibrations de lumière
x
x
Jacqueline Persini
x
Premiers du jour
x
Premiers du jour
des sons ruissellent
dans les feuillages.
Gorgé de visions
l’air se mêle à la vie
la goûte la fonde
x
Le premier chant
déploie le feuillage
la couleur du jour.
Large la vie palpite
déborde l’air
les volets ouverts
x
L’enfance le jour
regardent l’ombre
s’enfuir dans une
coulée de dons
le merle emporte
les questions
x
x
Cécile Ossant
x
La couleur
vient au jour
sans pli sans voile
elle ne vieillit pas
même dans les arrière-pensées
restées épinglées à la nuit
*
Et si
sa peau et la mienne
atteignaient le lit du silence
on pourrait étirer nos jambes ensemble
pour faire un seul trait
l’écriture ne demande pas plus
qu’un affût de couleurs
pour renouer les mots
*
Je voudrais reborder le monde
rester assise sur la banquette d’herbe
d’un printemps à peine là
faire de ma main une perche
aussi grande que ce branche en branche
dont les oiseaux s’amusent
je voudrais
qu’une seule volée de pollen
redresse les jours
x
x
Dorothée Coll
x
L’intimité du ciel
x
Toujours à l’affût de la beauté du ciel
je le surprends, ce matin
la bouille encotonnée
affairé, semble-t-il, à se démaquiller
x
Derrière la ouate
persistent peut-être
x
les éclaboussures du soleil levant
zébrures roses, orange, mauves
traînées de poudre, rubans de fard
x
quelques traces de charbon de nuit
appliqué en peinture de guerre
camouflage
pour la chasse aux cauchemars
paillettes
décrochées de la voie lactée
ou stries d’éclairs…
x
Je ne sais pas
Je n’ai jamais vu
la face cachée des nuages blancs
qui se dissolvent par magie
x
J’attends
les prochaines pluies colorées
pour élucider le mystère
x
x





