portiques, brèches, trouées, tunnels ou sentiers – tout passage fait signe, appelle à l’au-delà, à l’autre, à un autre temps, d’autres lieux, sans négliger les passages cloutés qui laissent peu de place à l’originalité, les passages à niveau, qui bloquent les autos, le regrettable passage à tabac, ou l’espéré passage de témoin …
Si, comme le dit Julos Beaucarne, « Nous ne sommes que prétexte dans le paysage au passage de la vie et de l’ailleurs » , vous trouverez aisément en vous autour de vous, de quoi alimenter l’atelier de création avec vos textes, photos, oeuvres variées pour illustrer ce thème – nous vous invitons à entrer dans notre atelier !
Formulation des seuils
& Le Royaume de Morphée
Marc-Henri Arfeux
I
Un jour,
Tu diras oui
A la frontière de tes organes,
La traversant
Dans un grand vent,
Ou l’étendue d’un calme lisse
Naissant de lac
Et de silence ouvert
Ainsi qu’une paume étale
Contenant la fraîcheur,
La floraison de ce lotus qui est lanterne
A l’avant de la barque où sont offerts
Les aromates,
L’encens crépusculaire, le cèdre de la nuit,
Et le léger santal de l’aube inachevée
Qui monte entre les pins humides.
Un jour,
Tu diras oui
A l’inimaginable
Don
De solitude
Et d’unisson.
II
Tu traverses l’ici,
Emportant ses figures
A chacun de tes seuils.
L’étoile que tu questionnes
Est dans tes mains,
Ton coeur et tes talons.
Elle tourne en toi,
Jumelle du signe circulaire
Qu’elle adresse à tes yeux,
Naissant toujours deux fois
Sans que tu saches si ton visage
Formé de terre, de goutte et de lueur
Inversement, voyage en elle,
Géométrie première de ton hésitation.
Et tout en toi se cherche à travers ton chemin,
Fougères, abeilles,
Rochers bleutés de vide,
Montagnes et forêts entretissant leurs ombres
A la lumière vibrée,
Rameaux du souffle pur lorsque revient la nuit,
Ou que frémit une aube
Ainsi qu’un papillon posé contre ta main.
Franck Berthoux
Portes et passages oubliés par lesquels l’enfance pourrait réapparaître
mais impossible à dérouiller.
Tunnels verts
William Navarrete
Jaume Saïs
Le Passage aux anges
Jean-Luc Favre Reymond
Pour Carole et Marilyne,
Le Recours au poème reste
un espace de liberté grande !
Le poème qui ne peut se lire – dire,
Dire/médire
Ajoutons-y quelques points de suspension…. !
« la fourmi court après le lézard,
et le lézard échappe à la chauve-souris »
si bien que le temps semble inversé,
avec en arrière plan l’idée d’une erreur de lignes.
« Ou bien que le lézard devienne subitement panthère,
et que la chauve-souris morde un prêtre »
ce serait un comble !
« Les combles à l’envers éveillant toute légitime suspicion »
Or il n’y a pas de cause à effet entre :
« un lionceau qui se mord la queue,
et une abeille qui bat de l’aile »
A moins de propulser à travers l’espace-temps de
nouveaux atomes,
Attirance/répulsion
Désir/ plaisir/ déplaisir.
Freud n’était pas un idiot
Lacan encore moins !
Et puis entre temps il y eut, Artaud Le Momo
Lui avait les idées larges
aussi larges que sa camisole de force
qui ressemblait à un manteau de serre.
En clair si le monde est monde
et qu’il tourne à l’envers
c’est finalement grâce à tous ces
(fous)
Froufrou !
qui s’arrangent avec la langue
(du pire)
Aussi nul besoin d’infiltrer le bonheur
avec des bouches tordues –
Mieux vaut rester cloué
sur le dos d’un fauteuil
en attendant que la (mort) céleste ou pas
fasse son œuvre
à rebours de la conscience perdue
au sein de pages (nues)
vidées de leur substance – originelle –
intégrale………..
……………..« Là où je respire ma noble fin ! »
(inédit)
Porte, Es Llombards (Majorque)
Denise Desautels (Québec)
Passer/ne pas passer
Anne Soy
À l’heure où le soleil caresse la terre,
un champ, libre, de coquelicots.
Lorsque la nature est paisible et laisse passer la beauté à cœur.
Ne pas passer
J’ai accroché mes enfers
Joël Dely
J’ai accroché mes enfers, indécents
A l’envers de mes pas.
Je les ai martelés, de tout mon poids
A la cadence de ma sueur
Sur le dos, magnanime, de la terre.
Lentement, inexorablement,
Je voyais l’herbe des chemins,
La glaise, humide, sous mes sandales
Se saisir, impatiente
De ma Géhenne, de ma plus sombre lumière.
Toutes ces grimaces, ces rictus, ces injures,
Ces cris de désespoir,
Tombaient, pantelants
Dans le regard plein de vertige
Des poussières du chemin.
Peu a peu, les mains décharnées du passé
Les vieux ossements dégoulinants de remords
Desserraient leur étreinte.
C’est alors que l’improbable s’est produit.
Au détour d’un changement de clarté
Un clocher a sonné.
Dans les heures vespérales
Le vent a fait s’effilocher
Le ventre chevelu des nuages.
Je me suis assis.
Un vieux banc m’avait offert
Son échine usée de pluie et de soleil.
J’ai regardé mes semelles, l’empreinte de mes pas.
Je n’y ai vu qu’un peu de terre, heureuse
D’avoir accompli le voyage.
Au sol, les traces de mes pas
Esquissaient des sourires.
Et je suis reparti, libre, inscrivant autour de moi
Cette même signature que sait inscrire,
Dans le ciel
Le vol léger des oiseaux.
Géométrie des passages (1)
Marilyne Bertoncini
Géométrie des passages (2)
Giancarlo Baroni
Happenstance / Hasard
Dominique Hecq (Melbourne)
Happenstance
peaching of sky, air aquiver
taste cinerary, like an omen
under the bridge, toss of water
swaying of reeds, stones sunken
my step perilous where lovers lay
their hearts among flotsam
your heliotropic face, shadow
of a smile, words not there
you uncurled your hands
let me through
Hasard
ciel de pêche, air tremblotant
goût cinéraire, comme un présage
sous le pont, eau à verse
houle de roseaux, pierres englouties
mon pas périlleux où les amants posent
leur cœur parmi les épaves
ton visage héliotrope, ombre
d’un sourire, mots en retard
tu ouvris les mains
me laissas passer
(trad. de l’autrice)
Sous le regard des arches
En passant sur un pont,
on ignore souvent
que les arches regardent s’écouler le temps…
Des Traversées
Diane Régimbald (Montréal)
Il y a des secousses qui traversent les portes
des escaliers où certains s’abîment
en déboulant les marches
et remontent au mieux.
Parfois une porte fait un passage inouï
dévoile des espaces qui voyagent.
Tu ne savais plus cet horizon
disparu depuis trop de temps.
Tu étais enfoui
dans le retrait du monde.
Le rêve t’emporta un jour ailleurs
te déplaça vers l’ultime percée
des rayons.
Passage du temps
Stefano Saporito
Passer le temps…
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Guillaume Apollinaire,
Le Pont Mirabeau
Elle allume une lampe
Monique Picard,
interprété et mis en musique
par Franck Berthoux
poème publié dans la revue VOCATIF, n.35
Parfois des passages
Carole Mesrobian
Parfois des passages
des migrations d’espace
sous ta peau
tracent le chemin des fleuves
ça bruisse comme un cortège
de visages
ça insinue ta source sur l’ocre des dégels
et alors quelque chose
apparaît
comme quand un cyclone
comble
propage son silence
dans l’espace ventilé par le vide
d’une vie
dans un moment altéré de durée
un instant exagéré
où s’ouvre la caverne du ciel
cachée dans le dos des matins
Collages
Alma Saporito
L’Origine du monde, de Courbet
Christine Durif-Bruckert
La toison noire ombre le corps
Ombres de la vérité du sexe féminin
ce n’est pas le gouffre
ce n’est pas le puit
ce n’est pas non plus cette intouchable image de la
grotte, qui dans un irrésistible et même mouvement
abrite, aspire et pourrait engloutir
ce n’est pas ça
c’est le lieu du corps
son poème
la langue des arbres, des rêves et des pierres
l’endroit chaud d’un passage
d’où nous sortions
enveloppés d’un châle de laine
le temps de l’union de la source et du désir.
C’est l’entrée dans le monde
l’empreinte du ciel en reflet de l’infini
la zone miroitante de toutes les étoiles
le monde en son centre.
Corps miroir
sanctuaire des surgissements.
Le désir au-dessus du vide
tendu sur son chassis de bois tendre
arc bouté dans la brume d’un silence qui rôde
à l’intérieur même de son écrin.
L’image, ce qui vient d’elle, ce qu’elle dit
fait apparaître le désir
présence
quasi odorante
qui comble l’air entre la chair sauvage et la peau de la
peinture.
Faux trou
Trouées des cieux
trouages de la chair
de tous petits abimes dans les fondations de l’être
l’écartèlement
les déchirures dans les parois de nos corps
irréductibles
racines des rêves d’absolu et de possession.
La parole surgit
franchit les seuils
touche
les trous
dedans
ne les remplit jamais.
Extrait Courbet, L’origine d’un monde,
invenit, Coll Ekphrasis, Juin 2021 Christine Durif-Bruckert
.
A Lume spento
Alessio Zanichelli
A lume spento
Rendi forti i vecchi sogni
Perché questo nostro mondo
non perda coraggio
A lume spento
Ezra Pound
La Clé du cagibi – conte de Charles Perrault
photos : Irène Duboeuf
texte : xxx
Les photos offertes par Irène Duboeuf nous amènent à divulguer en exclusivité un extrait absolument inédit du conte de Charles Perrault qui précède les éditions connues du Petit Poucet et de La Barbe Bleue – version retrouvée après de longues et fastidieuses recherches dans la bibliothèque de Carlos Ruiz Zaffon, où était conservé un manuscrit ayant appartenu à Jorge Luis Borges, et qu’un membre de l’équipe a scrupuleusement recopié pour nous le proposer (tout en souhaitant garder l’anonymat, en raison des dangers encourus, maintenant qu’ilelle possède ce précieux ouvrage, qui permet de suivre le cheminement de l’inspiration du conteur).
Le Petit Poucet fut si pressé de sa curiosité, que, sans considérer qu’il était malhonnête de quitter ses frères, il descendit par un petit escalier dérobé, et avec tant de précipitation qu’il pensa se rompre le cou deux ou trois fois. Étant arrivée à la porte du cagibi, il s’y arrêta quelque temps, songeant à la défense que son hôte lui avait faite, et considérant qu’il pourrait lui arriver malheur d’avoir été désobéissant ; mais la tentation était si forte, qu’il ne put la surmonter : il prit donc la petite clef, et ouvrit en tremblant la porte.
D’abord il ne vit rien, parce que la fenêtre était fermée. Après quelques moments, il commença à voir que le plancher était tout couvert de sang caillé, et que, dans ce sang, se miraient plusieurs corps attachés le long des murs : c’était tous les enfants que la Barbe-Bleue avait attirés, et qu’il avait égorgés l’un après l’autre. Il pensa mourir de peur, et la clef du cagibi qu’il venait de retirer de la serrure, lui tomba de la main.
Des Ponts… et des points
Christophe Brégaint
Hoy no pasarás
Osvaldo Ariel Tonello
photo : Marcel Louchard
à Chantal Dupuy
Senderos que se bifurcan
como se bifurcan las venas de una balsa
y su cabellera de sombras al viento del laberinto
.
Encrucijadas
Callejones
Puentes
Atajos
Recovecos perdidos
Pasadizos escondidos
Túneles del mal
Guías del bien
Cientos de puertas abiertas
.
Y una sola puerta que vence todas las demás
.
Pero no puedes pasar
.
Has ganado casi todos los caminos
Conoces las profundidades del bosque
Conoces el recorrido sangriento de sus árboles
Conoces casi todos sus secretos
.
Pero esta puerta no la puedes cruzar
à lire en intégralité ici :
.
Trouée dans le ciel
Lydia Belostyk
Entre l’ombre et le soleil
Caroline François-Rubino
.
.
Entre l’ombre et le soleil,
il ne faut pas mettre le doigt
il n’y a pas de place pour cela
on peut à peine cligner de l’oeil
.
.
on est passé
sans y penser
(poème de Marilyne Bertoncini)
Poème et collage
Ghislaine Lejard
.
.
Chaque jour se mettre en marche
sans objet
pour un immobile voyage
léger au seuil de la porte
délesté de tout
à l’écoute du moindre bruissement
marcher pieds nus
au bord des rêves.
( poème inédit )
Yaya
Anne Soy,
trad. espagnol : Miguel-Angel Real
Yaya
Yaya Karamoko
tu avais vingt-huit ans
né en Côte d’Ivoire
tu t’es noyé dans la Bidassoa
tu voulais juste vivre en Europe
aider ta famille à survivre là-bas
Passer d’un pays l’autre
une frontière
une mer
un mur
un fleuve
Un fleuve côtier
torrentiel
La Bidassoa
au bord de l’Espagne et de la France
Yaya, tu ne reviendras pas à Mankono
Yaya, héros de ce temps inhumain
qui t’oublie déjà
j’écris ton nom ici
Yaya Karamoko
Anne SOY
Yaya
Yaya Karamoko
tenías veintiocho años
naciste en Costa de Marfil
te ahogaste en el Bidasoa
sólo querías vivir en Europa
ayudar a tu familia a sobrevivir en casa
Pasar de un país al otro
una frontera
un mar
un muro
un ríoUn río costero
torrencial
el Bidasoa
en las lindes de España y Francia
Yaya, no volverás a Mankono
Yaya, héroe de este tiempo inhumano
que ya te olvida
aquí escribo tu nombre
Yaya Karamoko
Gare de Grand Central,42ème rue
Cécile Oumhani
L’averse des pas sous l’ampleur de la voûte
à l’infini trace mille routes contiguës
jusqu’à toucher l’arc où battent les cœurs
entêtés par des rêves exilés de leur port
hier buée légère déjà effacée à la vitre
demain lueur brûlante où s’aimantent les regards
la fillette marchait dans la foule
prise au vertige de mille fenêtres
portes entrouvertes et visages inconnus
New York inscrivait au creux de ses paumes
d’éblouissantes cartographies stellaires
la nuit saisissait les astres par poignées
puis les répandait dans ces étoffes
où chaque jour faisait et défaisait
la trame des possibles
des années plus tard
une femme marche qui verra
ses mots se poser comme fleurs à la vitre ?
peurs, espoirs et pétales mêlés
elle tire depuis le passé de longs fils
où tresser les images d’un avant avec un après
prise au vertige de la verrière
où se font et se défont les chemins
dans l’incessante giration du monde
là où court encore une fillette
éperdue sur l’asphalte
les doigts leurs doigts repliés
sur la poignée de son sac de leur sac
car chaque jour reste une promesse
à venir
Il faut qu’une porte soit ouverte, ou… rouge
Chantal Dupuy-Dunier
Deux poèmes
Dominique Ottavi
« J’étouffe entre les fenêtres et les portes
J’imagine un train bleu
Bondé d’amour
Je me jetterai entre ses rails
Entre ses bras
Un jour
Et votre monde sera
Lettre morte
Un jour viendra… »
C’est une porte
Qui sanglote
Dans le grand vent froid
Frissonne de même
S’interrogeant :
Que je sois ouverte
Ou fermée
Qui en décide
In fine ?
2 Passages
Gaelle Redon
La Porte de verre
Martine Morillon-Carreau
Ce qui passe
Rémi Tournier
How the day begins/Comment démarre la journée
Barry Wallenstein
trad. Marilyne Bertoncini
the day starts out as still
as a windmill caught in a calm absolute
that dreamy divagation
holds the man alive well into his future
thinking of it.
the day begins this way :
there’s a bustle around the house
four kids, two his owns and two visiting,
are, literally, banging life into the place
thinking of it
the day starts out with windmill blades
holding the sunlight, and in the evening,
with moonrise, the fins again glow, and
there is no fire, no alarm
no one thinks of it.
the day resume its burden
working deep into a leafless March
which stalls till mid-month,
holds its breath and release April
think of it : April.
the day dissolves to evening
as in the old days
and lowers its eyes to the light ;
and every thought on the edge of the dread
buries itself in night.
(from Pandemonium)
la journée démarre aussi doucement
qu’un moulin à vent par un calme absolu
cette errante rêverie
maintient l’homme bien en vie pour son futur
en y pensant.
la journée commence ainsi:
ça s’agite dans la maison
quatre enfants, deux à lui et deux en visite,
y font, littéralement, exploser la vie
en y pensant
la journée commence avec des ailes de moulin
retenant la lumière du soleil, et le soir,
quand se lève la lune, les nageoires à nouveau brillent , et
il n’y a pas de feu, pas d’alarme
personne n’y pense.
le jour reprend son fardeau
de profond labeur dans un Mars dépouillé
qui stagne jusqu’au milieu du mois,
retient son souffle et libère Avril
y penser : avril.
le jour se dilue en soirée
comme aux jours d’autrefois
abaisse ses yeux à la lumière;
et toute pensée sur l’arête de la peur
plonge dans la nuit.
(traduction publiée dans le numéro de janvier 2021 de Recours au Poème)
L’Ombre d’un saut de puce
Anne Soy
Passage
Sylvie Paligot-Grimal
A travers ce qui te servait de robe
J’ai découvert trois gouttes d’or pâle,
Un petit calice
Et tout mon désarroi.
Si l’au-delà s’ouvrait à moi
Par quel chemin, couronne d’épines,
Passerais-tu mon âme ?
Avignon 06/06/2021
Maternité
Louise Caroline
« Me voici bousculé cul par-dessus tête, plongeant dans l’étroit corridor, explorateur aveugle de reliefs gluants » ,
(d’un âge sans mémoire
Marcel Alocco, 2007).
Déroulement
Daniele Beghè
trad. Marilyne Bertoncini
SVOLGIMENTO
Ecco cosa vorrei vedere al primo
verso: una porta di vetro
con una scritta in alto che invita
ad entrare. Fiducioso.
Passata la soglia trotterellare
col mio ritmo, saltando tra un rigo
ed un gomitolo, ridendo o tirando su col naso,
tra esuli pensieri e pozzi neri.
E poi trovare tra le stanze tante vie
di fuga: una crepa , un abbaino
sul cielo azzurro, un lurido tubo
di scarico. Sgattaiolando o volando,
a volte in un vicolo cieco.
(extrait de Galateo dell’abbandono)
DEROULEMENT
Voici ce que j’aimerais voir au premier
vers : une porte de verre
surmontée d’un écriteau invitant
à entrer. En confiance.
Passé le seuil, trottiner
à mon rythme, en sautant d’une ligne
à une pelote de laine, riant ou faisant la moue
entre pensées d’exil et fosses septiques.
Et puis entre les pièces trouver tant de chemins
de fuite : une fissure, une lucarne
sur l’azur du ciel, un tuyau d’évacuation
crasseux. Me faufiler ou m’envoler,
même dans un cul-de-sac.
Interstices
Ne cherche plus ailleurs.
Joël Dely
Oublie, toi qui cherche l’Eden,
Tes lointains, tes ailleurs
Tous ces points de fuite tracés vers l’infini.
Laisse choir à tes pieds tes lendemains au goût de meilleur.
Toutes tes échappatoires, tes issues de secours,
Toutes ces négations du présent qui fleurit.
Scénarios, esquisses, préambules,
D’improbables futurs.
Là, ici, maintenant, inscris ton paysage.
Un oiseau s’envole,
Il chevauche un rayon de soleil
Qui caresse les toits.
Le sourd ronronnement, apprivoisé
D’un moteur, qui rature l’instant.
Arrête toi.
Entre ces lignes,
Fraie toi un passage.
Sur le point de suspension de ta respiration,
Cueille ton bonheur, qui supplie
Depuis toujours, Que tu le regardes.
Bien sur, viendra, aux portes du silence
Le moment de rêver.
Mais de ton rêve, ami,
Ne fais pas, surtout, un pâle breuvage
Où noyer ton désespoir.
Ce rêve, chéris-le, recueille le, comme un amour encore fragile,
Au creux de tes mains, de ton coeur
Façonne-le, pétris-le de la glaise de tes heures.
Et fais-en, en secret
Ton unique prière.
Ce que l’on gagne
Marilyse Leroux
Par la force du vent
Lambert Savigneux
Par la force du vent
l’éclat suspendu
d’une porte
j’ai vu une voile
une ombre figurer un cil
une main ramener sur les yeux
sur la coupure du soleil
un air de coton
aussi blanc que l’écume
La nudité dehors
dans l’étendue indifférente le monde
sur le mur qui s’écaille
sous les voix tissés de la rue
beauté cratère
l’érosion constante des choses
au fil de l’eau
sur les paupières
la morsure du sel
chauffée par la brûlure
Intérieur extérieur nuit
vidéo-poème de Maud Thiria
Oeuvre et poème de Chantal Godé-Victor
.
.
Passage
Un oeil bleu entrouvert
La porte du ciel en marche
Le silence contrescarpe
Où glisse un pas furtif
Une attente en dérive
Face à l’aube relevée
La mort écartelée sur une pancarte
Vaincre enfin l’inconnu.
Passage au Méridien (extrait)
Béatrice Machet
Le Anime Sorridenti
poème et trad. Elizabeth Guyon-Spennato
Le anime sorridenti
Sembrava estinto
il cognome antico.
Neanche una lapide
a San Michele.
Fu un miracolo
farlo rinascere
proprio sul Castello.
Gli Sguardi Persiani sui muri
dell’androne ci accolsero
con le anime sorridenti
degli antenati.
Fu un miracolo
da celebrare
con gli amici di sempre
Les âmes souriantes
Il semblait avoir disparu
ce vieux nom de famille.
Pas même une pierre tombale
à San Michele.
Ce fut un miracle
de lui redonner vie
en haut du Château.
Les Regards Persans sur les murs
de l’androne nous accueillirent
avec les âmes souriantes
de nos ancêtres.
Ce fut un miracle
à célébrer
avec les amis de toujours
« Portal » & « Ways »
2 photos de Patrick Williamson
C’est une porte
Dominique Ottavi
C’est une porte
Qui sanglote
Dans le grand vent froid
Frissonne de même
S’interrogeant :
Que je sois ouverte
Ou fermée
Qui en décide
In fine ?
© dominique ottavi
4 Portes
photos de Marie Alloy
Trois passages
Miguel Ángel Real
I – Vers le pont
La parole est présence
mais elle ne remplace pas la trace de ton pied
qui sur le pont s’efforce d’être couteau
et déchire l’hiver de l’autre rive.
Tu vis
en messagère de la permanence voulue
tu es
contre l’exigence du courant
et tu sais
être le son qui se fige
pour permettre aux trophées de ton ombre
de rendre jalouses les rivières
leur inertie, leur arrachement, leurs passages.
II – Vers toi
Un projet de lumière
les mots chaleureux des amis
ma gratitude.
La poussière se lève si je soupire
le vent attend, guette, se faufile
et dessine des diagonales sur le calendrier,
des comètes, des sillons de feu
et une mythologie incomprise reste gravée
dans le devenir des jours que tu arrêtes.
Car tu restes
et à travers tes pas posés
un à un, sagement, sur les jours qui se déroulent
je n’ai qu’une impatience
et un écran sur lequel je dors où je projette
une esquisse maladroite du temps qui passe.
III – Vers un autre monde
Frontières, morts, éclipses,
nuages imbus de leur vent,
musique, portes,
une voix et sa volonté,
une lumière que l’on cherche,
sentiers (mais pas tranchées),
velléités, pouvoir (rappelez-vous en),
mon regard sur ton corps,
la douleur d’une promesse,
la patience vers l’ailleurs,
catalogues, un galop,
le vers qui se dessine,
un mot d’amour non médité,
escaliers, choix, le versant d’une colline,
une carte non parcourue,
un volcan et son serment de cendres,
pages, être, paroles, nous.
par Lydia Padellec
La révélation m’est toujours venue de l’Orient. Bab El Assa. Tu as posé ton chevalet dans l’ombre du vieux figuier sur la place où l’eau de la fontaine en mosaïque joue une musique rafraîchissante. La Porte de la casbah s’offre à toi, ouverte au ciel et à la mer. A gauche, un homme assis sur un petit escalier, se fond dans le bleu du mur, le visage penché sur ses mains jointes. Une ombre dans une ombre plus grande. Où commence le ciel ?
Un tapis de lumière pourpre invite à franchir le seuil, à descendre vers la terrasse qui donne sur les toits de la médina, la baie, la plage – un ailleurs plus bleu que le rêve.
(Poème extrait d’un recueil inédit : Le bleu de Matisse)
I miei scorci di luce / Mes bribes de lumière
Emanuela Rizzo
trad. Marilyne Bertoncini
I miei scorci di luce
Il giallo dei Borbone
nella mia bella Parma,
accarezzò
lacrime intagliate
nel legno ferito,
barocco
dell’anima.
Radici d’amore
piantai attraversando
porte e archi,
verdi cortili,
gli amati giardini
di San Paolo,
ammirati anche
a cancelli
serrati.
Ora scorgo
luci resilienti
nei vicoli
di quella che fu colonia
romana.
E’ così che tornai
nel mio amato
Oltretorrente,
pub dove un tempo
passi assetati di libertà
solcavano strade,
passi miei ora
curiosi e innamorati
di un tempo sospeso
nel ricordo.
Mes bribes de lumière
Le jaune des Bourbons
dans ma si belle Parme,
a caressé
des larmes sculptées
dans le bois blessé,
baroque
de l’âme.
J’ai planté des racines d’amour
en traversant
portes et arches,
et verts jardins,
les bien-aimés Giardini
di San Paolo
qu’on admire aussi
à grilles
fermées.
Maintenant, je vois
les lumières qui résistent
dans les ruelles
de ce qui fut une colonie
romaine.
C’est ainsi que je revins
dans mon Oltretorrente
bien-aimé
en ce pub où jadis
des pas assoiffés de liberté
parcouraient les rues,
mes pas désormais
curieux et amoureux
de ce temps suspendu
dans la mémoire.
Souvenirs de la maison désaffectée
video-poème de Marilyne Bertoncini
« Puerta del Sol » poèmes et photo
de Martine Morillon-Carreau
Croissant de lune
ma barque claire
amarrée à la nuit
De poupe et proue
si fine
vers le cercle magique
du poème
dans l’arc le passage
la pierre outrepassée
Porte du Soleil
Puerta del Sol à Tolède
mer acier bleu la nuit
la barque de la lune
tire sur ses amarres
je tiens ta main
La mer le rêve à prendre
et nous
tout éclaboussés d’ombre
sous l’arc outrepassé
du temps
Transumanza/Transhumance
Lucilla Trapazzo,
trad. Marilyne Bertoncini
Transumanza
All’incrocio dei fiumi intrecciando
le sciarpe, genti trasmigrano e uccelli
cammelli, elefanti e sacche di iuta.
All’ombra dura di cieli strappati
portano le donne nelle ceste
il lamento dei padri e coltelli
negli occhi dei figli. Replicando
orme d’amore in un altro orizzonte
sulla rotta di abbagli lontani.
La storia è vena vagante solcante
crateri sul viso. Offrire foglie
di loto per estinguere il marchio
di orrori angolari. Poi cogliere
sogni versati su sabbia. Un solco
nel vento traccia non lascia.
Transhumance
Au croisement des rivières qui entrelacent
leurs écharpes, des gens transmigrent et des oiseaux
des chameaux, des éléphants et des sacs de jute.
Dans l’ombre dure de ciels déchirés
ils portent les femmes dans des paniers
la complainte des pères et des couteaux
dans les yeux des enfants. Ils repassent
des tracés d’amour dans un autre horizon
sur la route d’éblouissements lointains.
L’histoire est une errante veine qui trace
des cratères sur les visages. Offrir des feuilles
de lotus pour effacer la marque
des horreurs angulaires. Puis cueillir
des rêves écoulés sur le sable. Un sillon
dans le vent ne laisse aucune trace .
In assenza /En absence
Lucilla Trapazzo,
trad. Marilyne Bertoncini
In assenza – una barca di nome speranza
Niente luna stanotte. Il ventre
vorace del mare si nutre di sogni
e di carne. Una barca graziata
si tinge di ombra solcando le acque.
Distante è il destino promesso.
Un volto di donna sospeso
in assenza. Alle spalle sapore di casa
e terra natale. Spiagge sprezzanti
domani.
En l’absence – une barque nommée espoir
Pas de lune ce soir. L’estomac
vorace de la mer se nourrit de rêves
et de chair. Une barque graciée
se teinte d’ombre en sillonnant les eaux.
Il est loin est le destin promis.
Un visage de femme suspendu
dans l’absence. Derrière soi le goût
de la maison,de la terre natale. Demain
des plages qui te méprisent.
Un épigramme
de Michele Miccia
trad. Marilyne Bertoncini
Basilio
il tuo corpo è stato risucchiato
da una voragine non ti hanno più
ritrovato non sempre è diretta
la via dal fiume al mare, sei rimasto
per caso incagliato da qualche parte
indugiando per campi ed acquitrini
l’ultima visione ravvicinata
di un approdo che hai sempre cercato,
forse già fiori hanno messo radici
nelle orecchie nella bocca la tana
di una talpa ti muove, ancora vivo.
(tratto da » Epigrammi Libro Secondo-Corpi e epifanie »)
Basilio
ton corps fut aspiré d’un coup
par un gouffre et on ne t’a plus
retrouvé elle n’est pas toujours droite
la voie du fleuve à la mer, tu es resté
par hasard échoué quelque part
hésitant entre champs et marécages
la dernière vue la plus proche
d’un abordage que tu as toujours cherché,
peut-être déjà les fleurs ont-elles pris racine
dans tes oreilles dans ta bouche tanière
d’une taupe qui te meut, toujours en vie.
« Passage » et « Sud vert »
poème et photo
de Marie-Claude San Juan
La nuit on glisse dans les pas absents
des mondes anciens,
ceux du partage des chiffres.
Boréale stridence, est-ce miroir d’antique flânerie
ou photographie intérieure ?
.
L’insondé
le clivé
l’altéré
brisé, chanté, gardé.
..
Maturation de l’indicible,
nocturne aurore.
Visage à construire
pour la poussière à venir
qui ose penser sa mort, sa métamorphose.
.
Ce n’est pas le moment de poser la main qui caresse,
pas celui d’appeler le souffle
et le parfum.
Juste celui d’entendre le son intime,
parallèle mystère.
(Poème inédit d’un ensemble dont plusieurs textes ont été publiés en revues :Les Cahiers du Sens, L’Intranquille, Saraswati, La macchina sognante…), recueil en gestation vers son titre (qui existe, mais attend que soit posé le mot « fin »).
Le Pied hésite
Marilyse Leroux
JANUS
par Florence Dreux
JANUS
À Michel Demangeat, in memoriam
La tête de Janus
Sur le bureau de Freud
Ne voit plus
Ni avant
Ni après
Les yeux grands ouverts
Fixent seul l’instant
Alors pourquoi la bouche ouverte
Sur le marbre blanc ?
Sans titre
Valérie Canat de Chizy
Meanwhile /Pendant ce temps
Gili Haimovich poème et photos
trad. anglaise de Dara Barnat
trad. fr Marilyne Bertoncini
Meanwhile
Refrigerator on the balcony,
towels in the entryway.
(Trash can shut and forgotten).
In the cup next to the sink
there are more toothbrushes
than women,
than mates,
joining, if not for the journey, then the apartment.
Still doesn’t know that being nice
isn’t necessarily a compliment.
.
Outside territorial waters
you might sink,
but not tell.
You will exhale,
exhale an airplane,
maybe one day you’ll return to some home.
One with lights (landing lights?) and girls
and with a sunset,
since there are those who believe that sometime,
after some night,
(even shooting stars are actually the most beautiful as they fall),
turns into a sunrise.
Pendant ce temps
Le frigo sur le balcon,
les serviettes dans l’entrée.
(La poubelle fermée, on peut l’oublier).
Dans la tasse à côté de l’évier
il y a plus de brosses à dents
que de femmes,
que de copains,
venus, sinon pour le voyage, alors pour l’appartement.
Je n’ai toujours pas compris qu’être gentil
n’est pas forcément un compliment.
.
En dehors des eaux territoriales
vous pourriez couler,
mais sans le dire.
Vous expirerez,
expirerez un avion,
peut-être un jour retournerez-vous dans une maison.
Avec des lumières (des phares d’atterrissage ?) des filles
et un coucher de soleil,
puisqu’il y en a qui croient qu’un de ces jours,
après une de ces nuits,
(même les étoiles filantes en fait sont plus belles quand elles tombent),
commencera par un lever de soleil.
Portes et trouées
poèmes et photo de Claire Kräehenbühl
Laisser battante la porte
(on ne fait que passer)
mais
jeter ses racines
à l’envers
au fragile
comme un liseron s’enroule
autour d’une échelle
***
Un battement de cils
d’ailes
de porte
et
le regard
l’oiseau
comme un liseron s’enroule
le corps
traversent
suffirait-il que l’échelle
soit renversée
pour atteindre l’autre bord ?
***
La traversante
J’attends l’ouverture
un seul battant s’écarte
corridor où m’emmènes-tu ?
Tout au bout la brèche le trou dans la haie
vers quel dehors ?
La Brèche & Gothic castle
deux poèmes de Franck Merger
la grâce de son apparition parmi les arbres
la lumière de son regard au clair de lune
le charme de son sourire quand il s’approche
la soie de sa peau sous mes doigts
ses mains dans mes cheveux
ses lèvres sur mon visage
son corps contre mon corps
sa délicatesse
rallument sous la cendre le point rouge d’une braise mal éteinte
dans les bras l’un de l’autre sur un banc où il a bien voulu
me suivre Khaled me dit que je suis inattendu
il aime les bruns je suis châtain
il aime les petits je suis grand
il n’attendait rien je suis là
« tu aimes les surprises ?
– tu es une heureuse surprise »
vient le moment du « on s’échange nos numéros ? »
et vient la réponse de Khaled
« non –
si tu me donnes ton numéro
je vais t’appeler
je veux rester seul »
(Poème inclus dans le recueil Poésie marseillaise de Franck Merger,
à paraître aux éditions Maeltröm)
À Henrik
quand
les coups éclatants du tonnerre
la foudre qui zigzague et cisaille les ténèbres
les hurlements des loups dans la plaine
cessent
alors
des murailles balafrées de meurtrières
des merlons qui projettent leur ombre menaçante
de la herse aux pointes fichées à jamais dans le sol
ne provient
rien
l’homme enfermé là-dedans a pris son cri dans ses poings et l’a enfoncé dans sa trachée la répétitive bouteille à ses côtés il lit ; parfois il se lève va à la herse tend les mains vers les hommes qui passent vivent et s’aiment il les appelle mais sa bouche est celle du poisson s’asphyxiant sur la rive et les passants s’amusent des bulles jolies qui enflent et crèvent à ses lèvres
le voici qui apprend maint langage pour donner une voix à ses mots
al cancello si aggrumano le vittime
volti nudi e perfetti
chiusi nell’ignoranza…
la luna chiede tormento
e chiede sangue ai reclusi…
su e giù per quelle barriere
inferocite dai fiori,
persi tutti in un sogno
di realtâ che fuggiva…
نگاه کن
به من
از پشت این زندان شیشه ای…
بیا بیا بیا بیا بیا بی بی ب ب…
(Franck)
« les victimes s’incrustent à la grille / visages nus et parfaits / clos dans leur ignorance… » ; « la lune réclame des tourments / et réclame du sang aux reclus… » ; « les cent pas devant ces barrières / que les fleurs ensauvagent, / tous perdus dans un songe / de réalité fuyante… » (La Terre sainte d’Alda Merini)
« regarde-moi / là ! / dans la prison de verre… » (Une fleur attend la pendaison de Mahshid Vatan-Doust)
« biâ biâ biâ biâ biâ bi bi b b » : « viens viens viens viens viens vi vi v v » (Le Bris lent des bouteilles de Rezâ Sâdeghpour)
Passage
photo de Lino Cannizzaro
Vite fanées…
un poème de passage par Luca Ariano
– trad. Marilyne Bertoncini
Sfiorite in fretta le rose…
forse colte in un impeto
di gioventù, mentre Maggio
terminava tra vento
e temporali improvvisi.
Volata rapida la coccinella
come quando bambino soffiavi
su quei fiori:
raschia la gola la tosse,
parole sprecate, vite operaie
tranciate in quell’orditoio.
Pare una storia di altri secoli,
di canti di lavoro:
non scenderanno in piazza
ma occuperanno strade di locali.
Non è tempo di serrate
e attendi il giorno come una preghiera:
la liturgia delle vostre labbra sfiorate,
pelli poco avvezze al calore sfinite
tra lenzuola intrecciate di eterne promesse.
Vite fanées les roses…
saisies peut-être dans l’impétuosité
de la jeunesse, tandis que mai
s’épuisait entre vent
et orages soudains.
Vite envolée la coccinelle
comme quand tu soufflais enfant
sur ces fleurs :
elle racle la gorge cette toux,
mots gâchés, vie d’ouvriers
tranchées dans cet ourdissoir.
On dirait une histoire des temps passés,
de chants de travail :
ils ne descendront pas dans la rue
mais ils occuperont les rues où sont les bars.
Ce n’est pas une période de confinement
et tu attends le jour comme une prière :
la liturgie de vos lèvres effleurées,
vos peaux peu familières de la chaleur épuisées
entre des draps entrelacés d’éternelles promesses.
Portique
collage d’Alma Saporito
Passages éclairs
d’Alain Helissen
Deux peintures de Ratheesh Mullamgod (Inde)
Trois poèmes et une photo
de Giancarlo Baroni –
trad. Marilyne Bertoncini
Lasciapassare
Recinti una fetta di universo
appendi vietato entrare
concedi un lasciapassare
ai conoscenti che portano
il vitto quotidiano.
Uscio
Bussi e non fa rumore
tiri e non ha maniglie
infili la chiave ma non c’è la toppa
l’attraversi ma non si entra
.
Ai bordi
A velocità stellari
dappertutto nel vuoto
all’improvviso ferme
ai bordi dell’abisso.
Giancarlo Baroni
(dalla raccolta I nomi delle cose, puntoacapo editrice, 2020)
Laissez-passer
Clôture une tranche d’univers
accroche entrée interdite
accorde un laissez-passer
aux connaissances qui t’apportent
la nourriture quotidienne.
Seuil
Tu toques et ça ne fait aucun bruit
tu tires et il n’y a pas de poignées
tu inséres la clé mais il n’y a pas de trou
tu le traverses mais on n’entre pas.
Aux confins
À vitesse stellaire
partout dans le vide
soudainement tout s’arrête
aux confins de l’abîme.
Giancarlo Baroni
Trouée
photo de Sophie Braganti
Des Interstices
par Dominique Boudou
Un interstice est un espace d’espace ou un espace de temps produit par une rupture dans une continuité.
On trouve, par exemple, des interstices dans les murs dont les plâtres se délitent et sur les brisures des porcelaines japonaises soignées par le kintsugi…bref ! sur toute étendue de matière.
L’interstice temporel est une suspension voire une faille dans une durée. Une éclipse du soleil pendant quatre ou cinq minutes en constitue un. En médecine, l’interruption momentanée de la vascularisation du cerveau en constitue un autre.
L’expression « espace interstitiel de liberté », qui concerne les durées floues de la désoccupation au travail ou chez soi, incite à penser que l’humain n’est pas totalement prisonnier de l’aragne du pouvoir technologique. Des quarterons de pédagogues ampoulés l’utilisent pour désigner la cour de récréation. Les enfants, échappant pendant quelques minutes à la surveillance des maîtres, s’approprient un coin à l’écart et font ce qu’ils veulent, loin des jeux et des propos attendus. Ils transforment un temps mort dans un angle mort en un temps vivant qui fait vivre l’espace invisible. Ils entrevoient ainsi ce que pourrait être leur liberté. Devenus lycéens, ils occupent ces espaces interstitiels à donner et recevoir le premier baiser. L’administration de l’établissement n’est évidemment pas dupe. Elle sait bien qu’on ne saurait installer partout des caméras de surveillance. Mais, au prétexte de la sécurité ou de la prévention des conduites à risques, tous les espaces interstitiels ne sont pas tolérables. La meilleure stratégie consiste à en aménager quelques-uns sous contrôle aléatoire. Elle s’applique à tous les lieux de la sphère publique. Nos cités soucieuses du plus grand bien-être commun, (à l’exception des laissés-pour- compte interdits de replis nocturnes), consentent à réserver des lieux non rentables à des jardins partagés et à la pratique artistique de rue. De même, dans le cadre de l’illusion écologique, certains trottoirs sont parfois abandonnés à la végétalisation personnelle. Ces espaces sont sémantiquement interstitiels dans la mesure où les habitants peuvent s’en emparer d’une façon imprévue par les autorités municipales. Autrement dit, une partie de leur liberté reste sous contrôle mais une autre partie leur échappe et devient vraie quand la première est fausse. Un sens différent peut apparaître à l’intérieur du sens.
Qualifions ce sens différent de brin d’herbe. Ils sont nombreux à pousser sur nos vieux murs. Quand on s’en aperçoit, selon notre vision morale de l’ordre et du désordre, on les arrache ou on les laisse vivre. On refuse ou on accepte l’espace interstitiel. A moins qu’on atermoie. On accorde un délai au brin d’herbe, soit parce qu’on le trouve joli soit parce qu’il ne prend pas trop de place. Ou parce qu’on est plutôt de bonne humeur ces derniers temps. Ou, encore, parce qu’on sait que sa présence rejouira la personne avec laquelle on vit.
Le rapport à l’espace interstitiel, de liberté ou non, est donc aussi complexe que la vie même. Est-il bon si l’herbe est considérée comme bonne ? Est-il mauvais si elle est considérée comme mauvaise ?
La dualité contenue dans ces questions est inféconde. La vie, qui est autant rêvée que vécue, s’accommode mieux de l’herbe métaphorique. Elle peut être folle ou sauvage, à chat ou à bison. On peut la couper sous le pied de quelqu’un ou, procédé antédiluvien, la mettre au bon endroit des femmes pour qu’elles avortent. Elle guérit ou elle tue, procure la joie ou l’affliction selon les doses ingérées. De l’une à l’autre de ces significations, et il y en a beaucoup d’autres, une mosaïque d’interstices ouvre un chemin à la pensée et aux émotions. Un chemin qui va de l’avant puis recule, à moins qu’il ne bifurque au gré qui lui importe, telle la « ligne de sorcière » chère à Deleuze devenu poète.
A l’échelle planétaire, les immensités des paysages non exploitables échappent à la cartographie totale, fût-elle numérique. Google earth ne voit pas tout, n’enregistre pas tout. Une balle de ping pong peut être détectée depuis de très hautes altitudes mais il n’y a aucun intérêt stratégique et économique à le faire.
Dans sa nouvelle Nulle part à Liverion publiée en 1996, Serge Lehman imagine qu’un conglomérat de multinationales a instauré un gouvernement mondial. Ses satellites quadrillent au centimètre carré près toutes les terres restées vierges. Le coût de cette entreprise est si élevé que le retour sur investissement n’est pas toujours garanti. Certaines zones montagneuses par exemple n’apparaissent sur aucun écran puisqu’on n’en fera rien. Les moteurs de recherche en effacent toute mémoire documentaire, sous la vigilance des autorités qui décrètent que ces terres n’ont jamais existé. Seules quelques rares personnes se souviennent vaguement qu’on parlait autrefois de la cité de Liverion dans le Caucase. Comment, alors, localiser cette ville perdue ? Comment s’en emparer ? Pour y construire quoi où s’épanouir ? L’humanité qui résiste saura-t-elle retrouver avec cette faille interstitielle l’ivresse de l’utopie qui pourrait la sauver ?
C’est, encore, une affaire de volonté chevillée à un désir dans le même souffle : celui de la liberté vraie. Les interstices spatiaux et temporels sont quasiment infini dans toutes les composantes du réel. La liberté vraie peut et doit décider qu’ils lui appartiennent. C’est un combat à mener avec les brins d’herbe qui peuplent nos pensées, contre les peurs qui font courber les échines. Au coeur du banal.
Et il faut encore raconter une histoire que vous aurez à entendre entre les mailles.