peinture : Emily Walcker
Váno Krueger (Ukraine), Agron Shele (Albanie-Belgique), Unmesh Mohitkar (Inde-USA), Masuduzzaman (Bangladesh),Vasyl Makhno (Ukraine), Deniz Dağdelen Düzgün (Turquie), Ghislaine Lejard (France), Therese Craine Bertsch (USA)
Δέντρα
for Paulina Lavrova
the champagne and cherries I get
but why’s there a candelabra in your room?
this witness to already too many shadows…
the flames on candles are nails on fingers—
fiery men in one’s eyes
.
a zebra at night is the furled rays of the sun
stripes of black on white
a zebra in day is the furled darkness of night
stripes of sun on black
.
I remember
the cherry tree in the Hetman’s orchard
that a friend and I picked clean
was cut down
but
the tree of he who took the bark as his skin
still grows green
Váno Krueger
Δέντρα
pour Paulina Lavrova
le champagne et les cerises je comprends
mais pourquoi y a-t-il un candélabre dans ta chambre ?
ce témoin de trop d’ombres déjà…
les flammes des bougies sont ongles sur les doigts—
hommes ardents dans les yeux
.
un zèbre dans la nuit c’est les rayons du soleil qui se lovent
rayures noir sur blanc
un zèbre le jour est l’obscurité de la nuit qui se love
rayures de soleil sur fond noir
.
Je me souviens
du cerisier au verger des Hetman
qu’un ami et moi dépouillions
il a été abattu
mais
l’arbre de celui qui a pris l’écorce pour sa peau
pousse toujours vert
trad. Marilyne Bertoncini
Jaune
Jaune est la couleur des pages de livres, qui reposent dans la bibliothèque,
Jusqu’à ce que vous ayez besoin d’en ouvrir un, et que la poussière sorte
Jaune est aussi comme les couleurs d’automne
La nostalgie de toucher les contours d’une saison
Les tableaux de Van Gogh sont jaunes également
Avec des mains connectées pour demain, comme le blé
Jaune est la couleur des cheveux de la fille aux cheveux d’or, retroussant ses manches pour l’or de Salambo
.
Il y a un visage lumineux
Dont les yeux verts sont peints sur la toile
Et qui tient dans son cœur la faute de la douleur
Et les souvenirs me reviennent
Mais ils se perdent avec des illusions
Ce n’est rien, seulement une brève évasion
Le jaune peut se mêler au rouge
Quand brûle le feu du cœur, vois les flammes dans la coupe où réside la lune
plongeant dans le corps-même de la belle Ophélie
Jaune, comme la saison qui te surprend
Comme un miroir brisé venant devant tes yeux,
Et puis tous les reflets du monde
Allume les lanternes
Alors ses bougies brillent d’un tel éclat
Lumineuses comme le portrait de Madeleine
Comme son voile fait d’étoiles éveillées
Tandis qu’elle prie pour un nouveau réveil
Agron Shele
traduction depuis l’anglais : Marilyne Bertoncini
Nonsense called life
Ocean in front of me
few waves kissing me
few caressing me
Carrying me back to the shores
the sunset
golden
far away calling me
For every sunset, there is a sunrise somewhere
My clothes stick to my body
the sand clinging lovingly
refusing to go away
The ocean and the blue-sky tango in unison
Silver sand
Kissing my feet
My toes playing with the sand curves
The curves inviting the toes for more
I was searching for a pattern in the coming and going of waves
But they come at their time and go when they want
From ages, timeless
Pattern is security
Routine is not for the wild waves
They don’t follow patterns
Every moment they just focus on creating new patterns
Washing the old ones on the sand
I look at my life
Straight-jacketed
following google maps
I look at the waves
Even they don’t control ebbs and tides
Moon drives the tides crazy
Then who makes the moon mad?
Leaving my circle of security
I embrace the moon
Let the crazy moon
Put some light in my life
Let it make nonsense of my life just a little sensible
Unmesh Mohiktar
L’Absurde qu’on nomme vie
L’océan devant moi
quelques vagues m’embrassent
quelques unes me caressent
Me ramenant aux rivages
le coucher du soleil
doré
qui m’appelle de loin
Pour chaque coucher de soleil, il y a quelque part un lever de soleil
Mes vêtements se collent à mon corps
le sable s’accroche amoureusement
refusant de partir
L’océan et le ciel bleu unis dans un tango
L’argent du sable
M’embrasse les pieds
Mes orteils jouent avec les galbes du sable
Les galbens proposent advantage aux orteils
Je cherchais un motif régulier dans le va-et-vient des vagues
Mais elles viennent à leur heure et repartent quand elles veulent
Depuis toujours, hors du temps
Le motif est rassurant
La routine n’est pas pour les vagues sauvages
Elles ne suivent pas les modèles
À chaque instant, elles se concentrent uniquement sur la création de nouveaux motifs
Effaçant les anciens sur le sable
je regarde ma vie
Engoncée dans une veste
suivant Google maps
je regarde les vagues
Elles nont plus ne contrôlent ni les reflux ni les marées
La lune affole les marées
Mais qui rend la lune folle ?
Quittant mon cercle de sécurité
j’embrasse la lune
Puisse la lune folle
Mettre un peu de lumière dans ma vie
Qu’elle fasse du non-sens de ma vie juste un peu de sens.
trad. Marilyne Bertoncini
Humanité
La mer sédimentaire tombe, bronze au soleil avant que la nuit ne tombe
Sont-ce des souvenirs qui brillent de ta beauté oubliée
En vêtements légers comme ceux d’un voyageur
La douce mélodie du cri que tu as fait en marchant au coeur de la nuit
Me déchire le cœur et m’inonde de la lumière du jour, de vagues
Je vole vers ma tombe sur les ailes fluides du navire.
J’ai laissé une poignée de mots avec le temps. J’ai embrassé ton dos brûlant d’innombrables fois avec les écrits d’amour de Kafka. Mais cette cage thoracique froide et glaciale, ce glacier, ces antiquités ne tombent comme neige que sur des tombes.
Des rangées de tombes gelées, dépèce-moi en milliers de morceaux, et couche-moi au fond de toutes ces tombes.
Les plumes volantes d’arcs-en-ciel irisés tremblent dans les vagues du vent
L’ourlet incinéré du sari à l’intérieur du hijab noir1, des guirlandes rouge sang
Les réacteurs de l’enfer voisinent avec la montagne de Tur2
Les larmes, la faim, les corps des déshérités y mijotent
Les parfum d’huile et d’épicesont envahi l’air de la cuisine multinationale
Le pays des fantômes était son banal, incolore
Démon blanc
Démon noir
Démon brun
Il pleut du feu à l’horizon quand le ciel s’ouvre au soleil
La blanche horloge de l’église s’arrête au milieu du grondement des armes
« Guerre sainte » était écrit sur la bombe qui explosa dans la mosquée
Le sang et les larmes des hommes étaient sur le trident du temple
Dans une gorgée de sang, les « livres sacrés » sont aspirés par les alphabets sémantiques des démons
Dans la boue du Brahmilipi3 roulent es têtes d’hommes attaqués à l’épée
Une entreprise parfaitement humaine tremble dans les feux noirs
Chants d’une créature horrible voisinant la bonté
Mais nous voulons la paix de Padma4 à la Seine.
Masuduzzaman
trad. d’après l’anglais de Anonno Sayed Haque par Marilyne Bertoncini
Notes :
1 Voile, porté par la femme musulmane religieuse.
2 Tur : la montagne où le Prophète a reçu les messages de Dieu.
3 Brahmilipi : le système d’écriture, ou écriture, est apparu en Asie du Sud au IIIe siècle avant notre ère.
4 Le plus long fleuve du Bangladesh.
MY FATHER
you know my father was the same age as John Lennon
when John was singing it was batteries he clamped on
and on weekends he would also tie one on as a car mechanic
something would always break – plugs flooded by gas would fail
Beatles would fly to India – winters were passing by
and the flower children were breaking stalks and stanzas
you know the little town: a few cars – city hall – market square
cobblestones set over centuries like verse in rhyme
window panes in buildings vibrated like a violin deca
end of the 50’s: the children of war – a damaged generation
wearing a cheviot coat in rubber boots knee-high
standing at the bus stop was my mother – a student
you know in music classes: accordion guitar or dombra*
music demands a sacrifice as if from a donor
the school of ed orchestra in a former synagogue
now converted to a district club – is kept warm by a kerosene stove
in his brand-new « hazon »** dragging repeatedly on his cigarette –
my father is waiting for my mother – on the corner
you know after a few years their failed marriage fell apart
the music had suddenly changed – I grew and fattened up
John who married Yoko headed throngs of hippies
started singing about flowers – altered his wardrobe and style
grew a beard/moustache like a prophet in the wilds
allured by freedom and the leftists
you know that little town will also change as military
units occupy the barracks airmen and corpsmen
the spring and fall draftees as cyclical as nature’s seasons
will sing John’s songs: about yesterday and the day before
about unrequited love – singly and in chorus –
about all that passes by
you know on the street corner where my father awaited my mother
the music has not changed it sounds the same to me
and I hear that orchestra off tune and off beat
and John lying on the pavement – shot in New York –
in her dark glasses by now the aged Yoko
and the music like divorce I simply don’t get
you know because my father was the same age as John Lennon
I see him as a young man speeding in the cab of his « hazon »
while my mother stands on the corner waiting humming « Let It Be »
she is his girl and he is hurrying flying
they have but a brief moment left – indeed only an eyewink
but their music and the music of the Beatles will remain with me
Vasyl Makhno
*Dombra – a Kazakh string instrument
**Hazon – a Soviet truck
MON PÈRE
vous savez, mon père avait le même âge que John Lennon
quand John chantait, c’était des batteries qu’il serrait
et le week-end, il en attachait lui aussi, comme mécanicien automobile
quelque chose se cassait toujours – les bougies pleines de gaz tombaient en panne
Les Beatles s’envolaient pour l’Inde – les hivers passaient
et les enfants des fleurs rompaient des tiges et des strophes
vous savez, une petite ville : quelques voitures – la mairie – la place du marché
des pavés posés au fil des siècles comme des vers rimés
les vitres des immeubles vibrant comme un déca de violon
fin des années 50 : les enfants de la guerre – une génération abîmée
en manteau de laine et bottes en caoutchouc à hauteur de genou
debout à l’arrêt de bus c’était ma mère – une étudiante
vous savez, ces écoles de musique : accordéon guitare ou dombra*
la musique exige un sacrifice comme un don
l’école d’orchestre dans une ancienne synagogue
maintenant convertie en club de district – chauffée par un poêle à pétrole
dans son tout nouveau « hazon »** en tirant sur sa cigarette –
mon père attend ma mère – au coin de la rue
après quelques années, n’est-ce pas, leur mariage raté s’est effondré
la musique avait soudainement changé – je grandissais et grossissais
John qui avait épousé Yoko poussait des foules de hippies
à chanter sur les fleurs – changeait sa garde-robe et son style
se faisait pousser la barbe/moustache comme un prophète dans la nature
séduit par la liberté et les gauchistes
vous savez, cette petite ville changera aussi quand des unités
militaires occuperont la caserne aviateurs et brancardiers
les recrues de printemps et d’automne aussi cycliques que les saisons
chanteront les chansons de John : à propos d’hier et d’avant-hier
sur l’amour non partagé – seul et en chœur –
sur tout ce qui passe
vous savez, au coin de la rue où mon père attendait ma mère
la musique n’a pas changé elle sonne pareil pour moi
et j’entends cet orchestre qui joue faux
et John gisant sur le trottoir – abattu à New York –
avec ses lunettes noires désormais Yoko vieillie
Et la musique pas plus que le divorce, je ne les comprends
vous savez, mon père avait le même âge que John Lennon
Je le vois jeune homme accélérant dans la cabine de son « hazon »
pendant que ma mère au coin de la rue l’attend en fredonnant « Let It Be »
c’est sa nana et il se dépêche de voler
il ne leur reste qu’un bref instant – en fait, le temps de cligner des yeux
mais leur musique et la musique des Beatles resteront avec moi
traduction Marilyne Bertoncini
* Dombra – un instrument à cordes kazakh
** Hazon – un camion soviétique
Dans les miroirs la dépouille du magma
en attendant la paix mondiale…
on lui demanda sa couleur
et l’eau en souffrit
.
était-ce pour tirer sur les oiseaux
ou pour que ceux-ci ne nous tirent dessus
et pour s’acheter un caveau
combien d’années encore faudra t-il que l’on sue
.
elle ne vaut pas grand chose la vie d’un Homme
et il faut tant d’argent pour l’enterrer
.
toute de miroirs cette terre notre village
porte encore sur son visage
le bleu de la vie
.
mais tout au fond de lui
même
git la sombre
dépouille
du magma
Deniz Dağdelen Düzgün
Donation dans l’ordinaire
la sève soutient nos espérances
être pleinement
et dans le bruissement des feuilles
l’arbre se dresse porteur de paix
Dans le silence le mystère
Assoiffé d’horizon
dans la plénitude de l’aurore
tendre vers un lieu
ou un autre versant
au loin l’ivresse d’un sommet.
Ghislaine Lejard
( extrait de Dans la lumière de la fragilité à paraître en septembre 2022 ed Des Sources et des Livres )
We Are Here
Oh come, come with me
Come into a place with vast expanse of air, and space
Come, come and glide.
Sail beyond that labored land
The heavens break though and expand and emptiness that’s filled with grace,
and simplicity of place.
Our bodies breaking through in word, while in our bodies thoughts are heard.
Come, blithely soar above it, yes
Come, oh come with tenderness.
C’est là que nous sommes
Oh viens, rejoins-moi
viens en ce vaste lieu d’air et d’espace
Viens, viens, glisse.
Vogue, quitte cette terre laborieuse
Les cieux ouverts se répandent et voici que le vide se remplit de grâce,
et de simplicité.
Nos corps deviennent éclats de paroles et dans nos corps s’entendent les pensées.
Viens,plane hors du souci, oui
Viens, oh viens avec tendresse.
Seaweed
I grew up near the sea and when I travel I smell her sent and know her directions.
The alarm sounded that day but I could no longer cross you raging sea,
in my paper crafted boat.
Strolling out from under the surf slicked with oil, swim cap tight
you appeared like a channel swimmer.
“How can I cross the sea?”, I asked. “Fly!” Was your response.
I could not know, like Joseph in a dream, I would be warned ahead of time, “Transcend!”
Copyright 2021 Therese Craine Bertsch
Algue
J’ai grandi près de la mer et quand je voyage, je la sens et je connais ses directions.
L’alarme a sonné ce jour-là mais je ne pouvais plus traverser ta mer déchaînée,
dans mon bateau de papier.
Sortant nonchalamment des vagues, couvert d’huile, et la tête serrée dans un bonnet de bain
on aurait dit un nageur traversant la Manche .
« Comment puis-je traverser la mer ? », ai-je demandé. « Vole! » fut ta réponse.
Je ne pouvais pas savoir, comme Joseph dans un rêve, que je serais avertie à l’avance, « Surpasse-toi ! »
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[…] Váno Krueger est un poète ukrainien, – ce texte est issu du site » jeudi des mots » […]