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2 – Dominique Hecq – Marilyse Leroux – Béatrice Machet – Charles Akopian – Béatrice Pailler – Michel Lamart – Norbert Paganelli – Marc-Henri Arfeux – Cécile Bellamy-Bajard – Sonia Ainos – Jacques Merceron – Martine Garcia
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Dominique Hecq
:Vigile
à ciel ouvert
dans une brume crépusculaire
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une silhouette émerge de la plaine
exsangue, immuable
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pas le moindre arbuste
pas le moindre sillon
pas le moindre souffle
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présence pétrifiée, sans voix
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qui soudain s’anime de tressaillements
dans le dénuement de ce vigile ombreux
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qui, oui
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en plein désert
se fait lueur
spiralée, sanguinolante
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se fait flux vermeil
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Marilyse Leroux
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L’arbre bleu
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Tout le ciel le proclame : j’ai dix ans. Et lui ? Je suis dehors, avec lui, contre lui, il n’y a plus de fenêtre, l’air
l’a effacée. Est-ce le bleu ou le blanc qui me prend ? Ou bien la révélation de l’un par l’autre ? Je ferme les yeux. Rien n’a changé. C’est la même effusion au-dessus de ma tête. Il se tient là, haut et droit, dans la balance des couleurs, sûr de son allégresse. Présent. Puissant.
Je m’allonge dans l’herbe à soleil. La lumière pénètre mon corps, irradiant ce qu’elle touche. Je m’auréole de bleu, de blanc sous sa corolle, je laisse le rouge colorer mes mains. Jaunes, mauves, verts… les couleurs exultent, chacune acquise au désir de l’autre. Mes doigts les effleurent comme une peau à aimer. Le noir exalte la légèreté, la soulève où il faut. Entre ciel et terre. Un souffle peut suffire à ouvrir l’espace, je l’ai toujours su. Je respire autrement, la couleur gonfle mes poumons. Et m’élève où je dois aller. À la source de l’histoire.
D’un bond, mon amour a sauté sur la première branche. Un amour surgi de l’innocence heureuse. Une
évidence du corps. Cette explosion de joie, était-ce lui ? Était-ce moi ? Si parfaits, ensemble. Je me revois entre deux pages, deux pauses, fillette éperdue devant sa boîte de couleurs. J’ai capturé la magie de l’arbre sur mon ciel de papier. Celle des yeux aussi qui l’ont fait naître. « Chaque printemps, il me force à le peindre », disait-il.
Je referme l’album. Le dernier Amandier en fleurs de Pierre Bonnard rayonne du temps partagé. Vivant à
jamais. Fidèle et changeant. Comme le premier âge.
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L’arbre bleu (suite)
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Cet « arbre bleu » comme je l’appelais petite, je l’ai retrouvé avec émotion en 1996 à Saint-Brieuc lors des journées consacrées à Heather Dohollau, avec qui j’avais travaillé toute une année. L’exposition « Les yeux du ciel » mêlait des œuvres de ses artistes préférés (Joan Mitchell, Morandi, Vieira da Silva, Henry Moore, Geneviève Asse…) et des éléments de sa vie. J’assistai au vernissage à ses côtés. Une reproduction de « L’Amandier en fleurs » de Pierre Bonnard figurait dans la partie biographique. Choc pour moi qui lui racontai mon histoire avec ce tableau. Ce fut un lien de plus entre nous. Je lui dédiai ce poème, paru dans Le Fil des jours en 2007.
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Un arbre bleu
dans l’avant-jour
elle lui donne ses yeux
Une parole de long désir
pour la pierre du seuil
Et le ciel glisse en elle
jusqu’à l’autre transparence
cette blancheur impossible
au centre de l’air
Elle nous le dit
dans le tremblé des feuilles
l’ombre pour elle
est un don de lumière
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est un don de la lumière.
Béatrice Machet
De la couleur avant toute chose
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Pour cela préfère l’émotion.
Choisis la danse des rayons
leurs prodiges pour modèle de vie.
De la sérénité à la passion suis
les passages secrets dans ta chair
traversée par ce qui deviendra
le mystère tout aussi grand des mots.
Tout est lié et tout vibre
alors préfère l’empathie
préfère l’harmonie qui tient
ensembles la beauté avec la paix
sans pour autant faire cesser
le mouvement de se transformer.
Car il faut évoluer. Ondule à
loisir de toute la compassion
dont tu sois capable. C’est que la
couleur des pensées détermine
la qualité de nos vies. Branche-
toi aux sources d’énergie
fondamentales de l’univers et
fonds-toi dans les reflets infinis.
Écoute bien les notes qu’ils jouent.
Alors tu pourras assoir
la plénitude sur tes genoux.
Du je au nous la couleur est toute chose.
Et le reste est littérature.
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Charles Akopian
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Plus rouge au réveil
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Entre deux plongées
L’angoisse entame les joues
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Le temps ainsi hachuré
Pétrit sa mémoire
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Accouple jaune et vert
Soleil et feuillage
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Pour créer le bleu
Habitable
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Une prairie une fleur
Migrations de pollens
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Comme une palette
Imposant aux humains
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L’ivresse des couleurs
Pour enfin se poser
ermeil.se
ermeil.se
Béatrice Pailler
ermeil.se
ermeil.se
ermeil.se
Michel Lamart
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Couleur de la couleur
Quelle est la couleur
Du silence ?
Quelle ombre
Projette-t-il
Sur le gris du jour ?
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Quand le Ciel
Vous colle aux doigts
Que redouter
De son bleu reproche ?
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Quelle est la couleur
De la couleur
Sinon celle
D’une transparence ?
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J’écris
À l’encre sympathique
L’encrier me pardonnera-t-il
Les blancs de ma mémoire ?
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Quelle est la couleur
De l’Histoire ?
Rouge répond l’aveugle
Aux yeux injectés de sens
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(Traces de doigts ici
ici sur Ciel souillé)
ermeil.se.
Norbert Paganelli
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DEUIL
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Il a fallu que tu le fasses
Tu n’as pas pu t’en empêcher
Bien-sûr ce n’est pas ta faute
C’est probablement la faute des autres
Ceux qui t’ont vu faire
Mais n’ont rien dit
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Tu les as toutes volées
Mais pour en faire quoi exactement
Tu peux me le dire ?
Oui pour en faire quoi ?
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Il ne nous reste plus que le noir
Pour en porter deuil
Posé sur l’ardente blancheur
Du linceul
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Une autre fois peut-être
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ermeil.se
Marc-Henri Arfeux
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Le don de l’avant-jour
Contient par l’incolore
Tout le rosier du chant.
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Visage est la métamorphose
Du vide ouvert en un
Selon le souffle nom
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Qui deviendra
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Le cercle polychrome
De son éveil.
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Alors, le Bleu,
La Neige
Et l’Ambre pur
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Seront irisation
Du pur envol
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Naissant des cendres nues.
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Cécile Bellamy-Bajard
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Couleurs nuit
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Nacre nervurée corail
quand tu fermes les yeux –
le battement du sang
dès que tu quittes les coulures lavis du soir
étirées de violine jusqu’au pli extérieur
de l’œil en orbite
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Une larme sans couleur
se forme seule
hors de l’ombre à paupière
s’échappe
du destin triste des pensées
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Opacité du soir
quand les nuées charbon se déchirent les ors des nues
les ombres aux dents de chien
traversent les rêves interminables
d’éclats blancs comme la peur
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Le noir n’est jamais entier
fendu de lumières internes
de marine, d’ardoise,
de marrons profonds comme l’eau morte
Il s’allume de kaléidoscopes
migraines boréales et ophtalmiques
plaquées aux errances des bleus insoutenables de l’âme
à la solitude des insomnies blafardes
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La couleur s’invertit
dans les ondes delta
Puis rien
petite mort incolore
jusqu’à la carnation parfaite de l’aube
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Sonia Elvireanu
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Rayonnement
Il y a des instants où les os deviennent blancs,
le blanc révèle la grâce aux yeux,
le regard est fleur de cerisier,
s’enveloppe de lumière,
les choses brillent comme les herbes
au lever du soleil,
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on ne sent plus son corps,
seul le rayonnement,
un léger vêtement
comme un flocon de neige,
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et l’étonnement
quand on est touché par la lumière,
sans comprendre
comment elle s’élève des os blancs
pour envelopper tout ce que l’on voit.
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Jacques Merceron
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Cézanne ou une certaine Victoire
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Surgie assomption de la couleur
Balafres de lumière
Bleu-gris
La couleur toujours déjà dans l’œil
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Argonaute de la couleur
Tes mains d’argent plantées
En terre
Grandes lacérations des ocres
Rampants de verts
Gisants de bleu
Lingots des ors
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La couleur chant du peintre
Côtoiements des couleurs
Ou bien pinceaux en suspens révélant le flux
Y compris dans le vide
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Ton œil-couleur
Déployé dans le prisme
Dans les vallées du visage
Dans les tavelures des pommes
Dans les plissés de la jupe-falaise
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Ta chaleur humaine versée sur la toile
Jusqu’au vertige
Escalade les fruits du regard
Comme la montagne
Alix Lerman-Enriquez
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Arc-en-ciel
Alix Le
Au creux de la nuit,
des gerbes d’étoiles crèvent le silence.
Mais dans les soirs sombres et violets,
jaillissent de fines lumières,
lucioles qui brillent dans le noir,
broches d’or cousues
à même la toile veloutée du ciel.
Et soudain, l’explosion de couleurs du levant,
l’aube rose, l’aurore pourpre,
les fleurs sauvages multicolores
d’un ciel qui s’ouvre, d’un jour qui s’élance,
ombrelle bigarrée dans la rotondité de mon rêve.
Au cœur du noir, des étincelles de couleurs
comme un feu d’artifice à l’enseigne de ma joie.
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Martine Garcia
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Les couleurs perdues
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Nos prairies intérieures,
contrées où l’on reprend ses forces,
sont empreintes de couleurs perdues,
comme tracées à la craie,
à demi effacées.
Le rose sucré du lait, que l’on buvait glacé comme un nectar suprême,
Le vert céladon des œillets en boutons, alignés dans la tiédeur des serres,
Le noir violet des colonnes de fourmis dans nos cabanes de bric et de broc,
Le jaune lustré des maisons de poupées bien rangées au pied de nos lits,
Le vert poussiéreux dans l’ombre des cyprès qui nous faisait tousser,
L’ivoire écorné des vieux tourne-disques qui chantaient le dimanche,
L’orange papuleux des étoiles de mer égarées sur le sable au matin,
Le gris satiné du ventre des brochets au retour de la pêche,
Le blanc flottant des terribles fantômes dans les chambres le soir,
Le turquoise ébouriffé des petits pulls tricotés main,
Le rouge coquelicot de nos genoux égratignés
Et le bleu du monde qui filait à la fenêtre des trains.
Ce sont les couleurs perdues
de l’enfance envolée en douce,
comme un nuage de plumes sous la brise du temps.
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