à ciel ouvert

dans une brume crépusculaire

une silhouette émerge de la plaine

exsangue, immuable

pas le moindre arbuste

pas le moindre sillon

pas le moindre souffle

présence pétrifiée, sans voix

qui soudain s’anime de tressaillements

dans le dénuement de ce vigile ombreux

qui, oui

en plein désert

se fait lueur

spiralée, sanguinolante

se fait flux vermeil

L’arbre bleu

Tout le ciel le proclame : j’ai dix ans. Et lui ? Je suis dehors, avec lui, contre lui, il n’y a plus de fenêtre, l’air
l’a effacée. Est-ce le bleu ou le blanc qui me prend ? Ou bien la révélation de l’un par l’autre ? Je ferme les yeux. Rien n’a changé. C’est la même effusion au-dessus de ma tête. Il se tient là, haut et droit, dans la balance des couleurs, sûr de son allégresse. Présent. Puissant.


Je m’allonge dans l’herbe à soleil. La lumière pénètre mon corps, irradiant ce qu’elle touche. Je m’auréole de bleu, de blanc sous sa corolle, je laisse le rouge colorer mes mains. Jaunes, mauves, verts… les couleurs exultent, chacune acquise au désir de l’autre. Mes doigts les effleurent comme une peau à aimer. Le noir exalte la légèreté, la soulève où il faut. Entre ciel et terre. Un souffle peut suffire à ouvrir l’espace, je l’ai toujours su. Je respire autrement, la couleur gonfle mes poumons. Et m’élève où je dois aller. À la source de l’histoire.


D’un bond, mon amour a sauté sur la première branche. Un amour surgi de l’innocence heureuse. Une
évidence du corps. Cette explosion de joie, était-ce lui ? Était-ce moi ? Si parfaits, ensemble. Je me revois entre deux pages, deux pauses, fillette éperdue devant sa boîte de couleurs. J’ai capturé la magie de l’arbre sur mon ciel de papier. Celle des yeux aussi qui l’ont fait naître. « Chaque printemps, il me force à le peindre », disait-il.


Je referme l’album. Le dernier Amandier en fleurs de Pierre Bonnard rayonne du temps partagé. Vivant à
jamais. Fidèle et changeant. Comme le premier âge.

*

L’arbre bleu (suite)

Cet « arbre bleu » comme je l’appelais petite, je l’ai retrouvé avec émotion en 1996 à Saint-Brieuc lors des journées consacrées à Heather Dohollau, avec qui j’avais travaillé toute une année. L’exposition « Les yeux du ciel » mêlait des œuvres de ses artistes préférés (Joan Mitchell, Morandi, Vieira da Silva, Henry Moore, Geneviève Asse…) et des éléments de sa vie. J’assistai au vernissage à ses côtés. Une reproduction de « L’Amandier en fleurs » de Pierre Bonnard figurait dans la partie biographique. Choc pour moi qui lui racontai mon histoire avec ce tableau. Ce fut un lien de plus entre nous. Je lui dédiai ce poème, paru dans Le Fil des jours en 2007.

Un arbre bleu
dans l’avant-jour
elle lui donne ses yeux


Une parole de long désir
pour la pierre du seuil


Et le ciel glisse en elle
jusqu’à l’autre transparence
cette blancheur impossible
au centre de l’air


Elle nous le dit
dans le tremblé des feuilles
l’ombre pour elle
est un don de lumière

L’arbre bleu – Marilyne Bertoncini

De la couleur avant toute chose

Pour cela préfère l’émotion.

Choisis la danse des rayons 

leurs prodiges pour modèle de vie. 

De la sérénité à la passion suis

les passages secrets dans ta chair

traversée par ce qui deviendra

le mystère tout aussi grand des mots.

Tout est lié et tout vibre

alors préfère l’empathie

préfère l’harmonie qui tient

ensembles la beauté avec la paix

sans pour autant faire cesser

le mouvement de se transformer.

Car il faut évoluer. Ondule à

loisir de toute la compassion

dont tu sois capable. C’est que la

couleur des pensées détermine

la qualité de nos vies. Branche-

toi aux sources d’énergie

fondamentales de l’univers et

fonds-toi dans les reflets infinis.

Écoute bien les notes qu’ils jouent.

Alors tu pourras assoir

la plénitude sur tes genoux.

Du je au nous la couleur est toute chose.

Et le reste est littérature.

Plus rouge au réveil

Entre deux plongées

L’angoisse entame les joues

Le temps ainsi hachuré

Pétrit sa mémoire

Accouple jaune et vert

Soleil et feuillage

Pour créer le bleu

Habitable

Une prairie une fleur

Migrations de pollens

Comme une palette

Imposant aux humains

L’ivresse des couleurs

Pour enfin se poser


DEUIL


Il a fallu que tu le fasses
Tu n’as pas pu t’en empêcher
Bien-sûr ce n’est pas ta faute
C’est probablement la faute des autres
Ceux qui t’ont vu faire
Mais n’ont rien dit


Tu les as toutes volées
Mais pour en faire quoi exactement
Tu peux me le dire ?
Oui pour en faire quoi ?


Il ne nous reste plus que le noir
Pour en porter deuil
Posé sur l’ardente blancheur
Du linceul


Une autre fois peut-être

Le don de l’avant-jour

Contient par l’incolore

Tout le rosier du chant.

Visage est la métamorphose

Du vide ouvert en un

Selon le souffle nom

Qui deviendra

Le cercle polychrome

De son éveil.

Alors, le Bleu,
La Neige

Et l’Ambre pur

Seront irisation

Du pur envol

Naissant des cendres nues.

le blanc frémit au coeur de la pivoine – photo mbp

Nacre nervurée corail

quand tu fermes les yeux –

le battement du sang

dès que tu quittes les coulures lavis du soir

étirées de violine jusqu’au pli extérieur

de l’œil en orbite

Une larme sans couleur

se forme seule

hors de l’ombre à paupière

s’échappe

du destin triste des pensées

Opacité du soir

quand les nuées charbon se déchirent les ors des nues

les ombres aux dents de chien

traversent les rêves interminables

d’éclats blancs comme la peur

Le noir n’est jamais entier

fendu de lumières internes

de marine, d’ardoise,

de marrons profonds comme l’eau morte

Il s’allume de kaléidoscopes

migraines boréales et ophtalmiques

plaquées aux errances des bleus insoutenables de l’âme

à la solitude des insomnies blafardes

La couleur s’invertit

dans les ondes delta

Puis rien

petite mort incolore

jusqu’à la carnation parfaite de l’aube

Rayonnement

Il y a des instants où les os deviennent blancs,

le blanc  révèle la grâce aux yeux,

le regard est fleur de cerisier,

s’enveloppe de lumière,

les choses brillent comme les herbes

au lever du soleil,

on ne sent plus son corps,

seul le rayonnement,

un léger vêtement

comme un flocon de neige,

et l’étonnement

quand on est touché par la lumière,

sans comprendre

comment elle s’élève des os blancs

pour envelopper tout ce que l’on voit.

Arc-en-ciel

Au creux de la nuit,
des gerbes d’étoiles crèvent le silence.
Mais dans les soirs sombres et violets,
jaillissent de fines lumières,
lucioles qui brillent dans le noir,
broches d’or cousues
à même la toile veloutée du ciel.

Et soudain, l’explosion de couleurs du levant,
l’aube rose, l’aurore pourpre,
les fleurs sauvages multicolores
d’un ciel qui s’ouvre, d’un jour qui s’élance,
ombrelle bigarrée dans la rotondité de mon rêve.
Au cœur du noir, des étincelles de couleurs
comme un feu d’artifice à l’enseigne de ma joie.

Les couleurs perdues

Nos prairies intérieures,

contrées où l’on reprend ses forces,

sont empreintes de couleurs perdues,

comme tracées à la craie,

à demi effacées.

Le rose sucré du lait, que l’on buvait glacé comme un nectar suprême,

Le vert céladon des œillets en boutons, alignés dans la tiédeur des serres,

Le noir violet des colonnes de fourmis dans nos cabanes de bric et de broc,

Le jaune lustré des maisons de poupées bien rangées au pied de nos lits,

Le vert poussiéreux dans l’ombre des cyprès qui nous faisait tousser,

L’ivoire écorné des vieux tourne-disques qui chantaient le dimanche,

L’orange papuleux des étoiles de mer égarées sur le sable au matin,

Le gris satiné du ventre des brochets au retour de la pêche,

Le blanc flottant des terribles fantômes dans les chambres le soir,

Le turquoise ébouriffé des petits pulls tricotés main,

Le rouge coquelicot de nos genoux égratignés

Et le bleu du monde qui filait à la fenêtre des trains.

Ce sont les couleurs perdues

de l’enfance envolée en douce,

comme un nuage de plumes sous la brise du temps.

photo mbp