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Parallèlement à la sortie en France de ma traduction d’un choix de poèmes de Luca Ariano, sous le titre « Demeures de mémoire » aux éditions Douro, paraît en Italie le recueil à quatre mains écrit par le poète et Carmine De Falco dont je vous propose de découvrir l’avant-propos et un poème du recueil, qui éclairent le projet sous-jacent à l’oeuvre de Luca Ariano, lisible dans le livre publié en France.

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Une décennie est une période insignifiante dans l’histoire de l’humanité. En même temps, c’est une partie importante de la vie des individus. Et à l’époque dans laquelle nous vivons, elle est jalonnée de changements inimaginables auparavant. Tout change rapidement, dans un tourbillon, « jetable ».

Au début du nouveau millénaire, la « parole» était déjà largement appauvrie et dépossédée de sa puissance de feu, écrasée par la société de l’image, et perpétuée par des poignées de disciples courageux car ne s’adressant qu’à eux-mêmes. C’est peut-être précisément pour cela qu’à la fin des années zéro, une nouvelle génération de poètes a ressenti l’urgence de s’unir dans des œuvres collectives, à dominante politique, dans des expériences telles que Pro/Testo (Fara, 2009) et Trampling Oblivion (Argo, 2010) qui sont le terrain sur lequel est née notre idée d’une œuvre poétique à quatre mains – Les Résistants (d’If, 2012) – suscitée par la nécessité d’une parole et de

l’affirmation de saisir l’existant qui s’estompait et de résister, dans une Italie dont déraillaient les fondements socioculturels, grâce surtout aux vingt années de Berlusconi, quand l’ignorance ostentatoire des nouveaux riches, trash et kitsch, saturaient l’imaginaire collectif.

Quelques dix ans plus tard, tout a changé, les sirènes de plus en plus alarmantes du changement climatique, l’expérience du Covid19 et des confinements, la guerre incroyablement proche, géographiquement mais surtout dans ses conséquences économiques et politiques, la naissance

de nouvelles puissances financières qui vont au-delà du capitalisme et au-delà des

gouvernements et des États, l’implosion finale des idéologies et l’explosion de l’intelligence artificielle, vecteur de plus en plus performant pour générer des produits culturels, nous projettent dans un nouveau statut de naufragés dans un contexte tourmenté, où il devient difficile aussi de partager des opinions et des idées, d’entrevoir des issues.

Un monde humain complètement différent de celui des avenirs progressistes, où même les valeurs et les droits acquis sont continuellement remis en question et où il est même difficile d’imaginer

quelle forme de gouvernement nous aurons dans cinquante ans.  Le monde des certitudes

dans lequel nous sommes nés a été déconstruit, et ce recueil de poèmes, un Resistenti acte II, écrit par des poètes naufragés, n’a d’autre prétention que celle de témoigner d’expériences et d’histoires sur le fond de la Grande Histoire.

Nous aimerions conclure cette note en liant nos écrits à une réflexion de Lucrezia Lombardo qui, dans un essai publié dans le numéro 111 de « Atelier » (Trouver dans l’autre le courage : pour une poésie incarnée ») définit ainsi l’acte poétique : « Faire poésie constitue ainsi une forme de résistance à la déshumanisation en cours. »

Luca Ariano & Carmine De Falco

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Ricordi ancora la chiesa

 del quartiere Marzotto?

 Il cinema chiuso, la centrale

 Enel e l’acquedotto;

 ad Agosto era gremita,

 tutto il paese sotto la navata

 post moderna: chissà perché

 ripensi al funerale di Berlinguer.

 Quei gesti ancora un valore:

 si ricordavano delle bombe,

 fame, alluvioni, cortei,

 vana festa l’Otto Settembre .

 Dove sono andati con la Fiat 850?

 Non contano più nulla le azioni,

 memorie sbiadite e li vedi

 perduti nel passo da divi,

 tronfio consumo nel cielo nero

 di nubi chimiche.

 Attendi ancora il suo abbraccio

 mattutino, il sonno un ricordo

 e loro serrati come portoni

dopo terremoti e aree depredate.

 Proviamo ad elevare a generazionale questi fallimenti personali

 incolpiamo le sovrastrutture per l’inquietudine

 che ci affonda, alla crisi per il nostro non riuscire.

 Ma non è forse questa amarezza

 destino da sempre di menti più giuste, profonde?

 Sarà perché siamo stati allevati da maestri riconciliati col mondo

 dalle comodità dei new deal, dai nuovi corsi

 che hanno al centro l’elettrodomestico,

 addomesticazione dei bisogni subito prima

 dell’elettrificazione delle voglie. Ora che siamo

 terminali malati di smartphone, genitori

 di fono-suono intelligente che si autoalimenta,

 autonomamente dato, e si diffonde

 con aridi mash up di contenuti, ridotto tutto

 a sequenza di zeri e di uno. Di acceso e di spento,

 di luce e di buio. Questa luce e buio che batte la mente

 e resta poco a noi. Ignoranti annoiati.

 Di questo gioco fuori luogo di casate e perdite di tempo

Bruciano giacimenti di metano,

 si vedono dal confine,

 immortalati da droni;

 non troppo lontano arsero

 campi di grano e le truppe

 di Napoleone trovarono

 solo cenere e mucchi di neve.

 Anche di quella foresta

 non rimarrà traccia tra cataste

 di legno e miniere d’oro:

 fuggono indigeni fucilati

 come pellerossa nel West

 da generali in divisa blu.

 Programmate nuovi posti

 da vedere, notti da trascorrere

 in alberghi romantici

 ma rimarrete guardiani nascosti

 della città da pedalare

 sfiorando visi e labbra.

Tu te rappelles l’église

du quartier Marzotto ?

Le cinéma fermé, la centrale

Enel et l’aqueduc ;

en août, c’était bondé,

toute la ville sous la nef

post-moderne : qui sait pourquoi

tu repenses aux funérailles de Berlinguer.

Ces gestes ont toujours de la valeur :

ils se rappelaient les bombes,

la faim, les inondations, les processions,

Fête vaine, le  8 septembre.

Où sont-ils passés avec la Fiat 850 ?

Les actions ne valent plus rien,

souvenirs fanés et tu les vois

perdus à la traîne des divas,

arrogance consumériste dans le ciel noir

de nuées ​​chimiques.

Tu attends toujours son étreinte

matinale, dormir est un souvenir

et eux verrouillés comme des portails

après les séismes et les pillages.

On tente d’élever au rang d’échecs générationnels ces ratés individuels

on accuse les superstructures de l’agitation

qui nous accable, la crise de notre insuccès.

Mais est-ce que cette amertume n’est pas

le destin d’esprits plus justes, plus profonds ?

Parce que nous fûmes éduqués par des maîtres réconciliés avec le monde

des avantages du new deal, des nouveaux cours

qui tournent autour de l’électrodomestique,

la domestication des besoins immédiate avant

l’électrification des désirs. Maintenant que nous sommes

des terminaux malades de smartphones, parents

de sono-phono intelligente et auto-alimentée,

devenue autonome et se propageant

avec d’arides mélanges de contenus, le tout réduit

à une séquence de zéros et de uns. D’allumé-éteint,

de lumière et d’obscurité. Cette lumière et cette obscurité qui frappent l’esprit

et dont il nous reste si peu. Ignorants  ennuyés.

De ce jeu insensé de familles et pertes de temps

Brûlent des gisements de méthane,

on les voit depuis les confins,

immortalisés par des drones ;

non loin brûlèrent

des champs de blé et les troupes

de Napoléon ne trouvèrent

que cendres et amas de neige.

De cette forêt elle-même

ne restera nulle trace parmi les amas

de bois et les mines d’or :

Les indigènes fuient, abattus

comme les Peaux-Rouges dans l’Ouest

par des généraux en uniformes bleus.

Vous projetez de nouveaux lieux

à visiter, des nuits à passer

dans des hôtels romantiques

mais resterez gardiens secrets

de la ville où pédaler

en effleurant visages et lèvres.

trad/ Marilyne Bertoncini
avril 2025