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J’en appelle à vous, disparus à l’aube de ce siècle – vous qui avez connu le chaos et les horreurs du siècle précédent – à vous voix poétiques porteuses d’espérances, assoiffées de paix – vous qui aviez les livres comme maison commune.
J’en appelle à tous ceux qui comme vous aspirent à la lumière – à la paix, au respect. Nous sommes chacun l’autre d’autrui – chacun responsable de l’autre en nous et en lui – comptables des vies – de la même vie qui nous unit.
J’en appelle à vos mots, qu’ils soient source d’éveil et de compréhension.
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Yehuda Amichaï, né Ludwig Pfeuffer le 3 mai 1924 à Wurtzbourg en Allemagne et mort le 22 septembre 2000 à Jérusalem, est un poète juif israélien de langue hébraïque. Il occupe une place importante dans la littérature israélienne de son siècle.
Mahmoud Darwich ( محمود درويش), né le 13 mars 1941 à Al-Birwa (Palestine sous mandat britannique) et mort le 9 août 2008 à Houston (Texas, USA), est une des figures de proue de la poésie palestinienne.
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Yehuda Amishai – L’Homme n’a pas le temps dans sa vie
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L’homme n’a pas le temps dans sa vie
d’avoir du temps pour tout.
Il n’a pas assez de saisons pour avoir
une saison pour chaque but. L’Ecclésiaste
se trompait là-dessus.
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Un homme a besoin d’aimer et de haïr en même temps,
De rire et pleurer avec les mêmes yeux,
avec les mêmes mains, de jeter puis ramasser des pierres,
de faire l’amour dans la guerre et la guerre dans l’amour.
Et haïr et pardonner, se souvenir et oublier,
arranger puis mélanger, manger et digérer
ce que l’histoire
a mis tant d’années à construire.
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Un homme n’a pas le temps.
Quand il perd, il cherche, quand il trouve
il oublie, quand il oublie il aime, quand il aime
il commence à oublier.
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Et son âme est aguerrie, son âme
est très professionnelle.
Seul son corps reste à jamais
un amateur. Il essaie et il rate,
s’embrouille, n’apprend rien,
ivre et aveugle dans ses plaisirs
et ses douleurs.
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Il mourra comme meurent les figues en automne,
Ratatiné et plein de lui-même et doux,
les feuilles sécheront peu à peu sur le sol,
les branches dénudées pointeront vers ce lieu
où l’on trouve du temps pour tout.
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trad. à partir de l’anglais (US) de Chana Bloch (1940-2017)
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