Dans mon Pays rêvé

Mais, bien plus souvent, j’ai honte de n’être que poète quand la nuit n’est plus celle des clairs de lune et des scintillantes étoiles. J’ai honte de ma contemplation des coquelicots, leur rouge essentiel en contraste des verts et des bleus. J’ai honte et je dis pourtant mon amour du beau, de toutes ses constances ou inconstances, de sa diffraction et du blanc.

Alors j’oublie. Dans mon pays rêvé, le cri est le premier souffle du nouveau-né, les couleurs sont d’arc-en-ciel et de paix. L’Homme est toujours mon frère… dans mon pays rêvé…

à propos de Un autre monde, Stéphane Brizé, 2021

Je te dois un rêve

le ciel le sol les maisons les volets clos

je monte lentement les marches brûlantes

ma robe blanche tremble dans la chaleur

le silence du Sud

tu m’attendais

le carrelage si frais derrière la porte de bois bleu

dans la ville blanche où la pénombre rend irréelles les

caresses pourtant

partagées

ce silence bleu nous ressemble

Tour du Finistère à la voile, le 30 juillet 2025

La palette du matin

L’aube a du ciel le pinceau des couleurs

Que la toile en la nuit masquait d’évidences

Derrière les ombres illunisées d’une mer des Nuées

Pressées d’un jus de lumière crue

Aux caresses rêvées d’orange amer

La palette du matin se brosse les dents de lait du jour

Des teintes révélées d’impressions soleillées d’envies

Colorant le regard au-delà du réel

Flottant en chemise des songes bariolés des restes de la nuit

Le soleil peint ses rayons de l’arc après la pluie

Les yeux se rêvent en l’instant des couleurs l’infini

Verdi foglie d’acànto

Piogge scroscianti colori dilavati

il bianco candore delle statue

esposte alle intemperie. Prima

pupille variopinte bagliori dorati

e il roseo avorio della pelle,

rosso sangue di drago

sulle labbra e sul manto

orlano l’azzurro delle vesti

verdi foglie d’acànto.

Vertes feuilles d’acanthe

Les averses délavent les couleurs

des statues d’un blanc immaculé

exposées aux éléments. Jadis

leurs pupilles colorées, des éclats dorés

et l’ivoire rosé de la peau,

le rouge sang-dragon

des lèvres et sur le manteau

d’azur des vêtements l’ourlet

de vertes feuilles d’acanthe.

Couleurs noyées

Dédale de pigments. Du rouge en aplomb sur un blanc laiteux qu’ajourent des bandes d’argile. La terre fait des jours dans l’eau.

Quelle sourde tendresse bleuit ces éclats de temps ?

Les lignes se perdent, se diluent, se dissolvent. Demeurent les traces du sourd travail qui tendit jusqu’à le rompre, ici ou là ,l’espace.

Tout paraît limpide. Comme en réserve. Une retenue dans le fatal. Ravins inversés à fleur d’eau. Dépôts dépouillés d’air. Bulles de ciel tombé.

On s’approche du bord. On met genoux à terre. On se penche. Mais c’est comme si on ne se penchait pas. Comme si quelque chose montait du peu d’eau. Un bruit d’ailes. Un oiseau sans nom qui nous aurait alors traversé.

L’air décide de sa transparence. L’air, non pas un état mais un mouvement comme d’un passant en quête d’un chemin perdu. Couleurs en route vers le vide. Et comme aspirées vers les fonds.

MJ Freixe, « Reflets d’eau à Bouzigue »

L’ombre verte

Un monde s’ouvre

dans l’empreinte des mots

où j’ai posé mes pas.

Si tu as besoin de moi

tu me trouveras près du fleuve

dans la folle étreinte du vent

dans un tourbillon de pétales pourpres

où, qui sait, dans l’ombre verte

d’un tilleul oublié :

le vert est la couleur de mes soleils d’été.

(A mon père, La Tombe du Plongeur, Paestum)

Un geste quelques couleurs
Un plongeon une figure à risque
Dans la vallée des morts  
Dire l’air et la lumière sans disparaitre
Tu te souviens remontes
T’appuies à cette échelle à même l’air
T’élances
toute personne qui tombe a des ailes*
Est ta réponse

   *Ingeborg Bachmann

Fiat Lux

(sur des photos de Giancarlo Baroni)

La lumière tisse le réel

une feuille tricote un écran vert

et pose sa paume  sur mes yeux las

*

Si la lumière explose au cœur du nénuphar

ouvre-t-elle un passage vers l’autre dimension

où dans des rêves d’or s’effacent les soucis ?

*

Qui de l’eau ou de l’ombre

s’abreuve à la lumière ?

La feuille dit le temps qu’il faut

pour que le rêve enfin soit un cristal exquis.

La luce tesse il reale

 una foglia sferruzza uno schermo verde

 e posa un palmo sui miei occhi stanchi

*

Se la luce esplode nel cuore ninfeale

aprirà un passaggio sull’altra dimensione

dove nei sogni d’oro svaniscano pensieri ?

*

 Chi dell’acqua o dell’ombra

 S’abbevera di luce?

 Il foglio dice il tempo che ci vuole

 perché  il sogno diventi squisito cristallo.

Écrire dans la douceur de la couleur

un matin que le vent respire la nuit

écrire dans la lumière de ces fleurs

parsemant le feuillage de leur venue au jour

couleur toute étoffe au pinceau des yeux

lumière encore dans le germe

au plus près du cœur

comme le sont ces fleurs

brillant du pur grain de la couleur

dans l’encore pénombre de l’éveil

fraicheur de ce vent sur la peau

chaude lumière pour les yeux

de ce coin de jardin illuminé de ciel

alliage du vent et de la lumière

en ce lieu qu’un oubli caresse

tu aimes en ce jardin d’aujourd’hui

venir t’immerger dans la couleur

dans le souffle qui en porte la flamme

dans la douceur qui en dit le fruit

y être tout entier naissance du visage

naître à la couleur à la lumière

n’est-ce poser les premiers mots du poème

ce silence de la fleur qui luit

dans la vaste pénombre d’un feuillage

n’est-ce de lui que le poème se déploie musique

Kaléidoscope

Les couleurs, toutes les couleurs, passent devant mes yeux, sous mes paupières, à la vitesse du son.

Elles déclenchent parfois des fréquences si aiguës qu’elles paraissent résonner dans tout mon corps.

Elles vibrent, s’animent, se mêlent ou se reposent, comme les émotions qu’elles font parcourir sous ma peau.

Elles peuvent aussi déclencher des vertiges, d’amour ou de douleur, de douleur ou d’amour, comme de douleur, et d’amour.

Elles tournoient et disparaissent, – ou apparaissent et tournoient, – jusqu’à former un kaléidoscope au cœur battant, où elles se brouillent jusqu’à former des reflets à la fois sombres et d’une profondeur insondable,

Lumineuses, pourtant.

J’aime les couleurs qui se mêlent et touchent à l’âme,

Renversent le cœur, –

Et le temps, leur rendant

Leurs nuances

Et leur chair.