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Une des perceptions que le lecteur peut se faire, en lisant ce magnifique recueil de Coralie Akiyama, intitulé Femmes, si j’étais, est celui d’une catharsis menant à la rédemption par le Verbe. Les fascinantes illustrations de Jacques Cauda participent de cette expérience par laquelle le vécu, le réel, dans ce qu’il peut avoir d’extrêmement violent, se trouve projeté sur la toile ou la page sans que l’on puisse y distinguer l’amour, la mort, la violence, la tendresse – mais où tout est vrai.
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De même que le crayon incisif de Jacques Cauda imprime l’œil du lecteur du trait cruel et indistinct, le style de Coralie Akiyama saisit sur le vif le fait et l’enchaîne au suivant comme le feraient les mouvements saccadés du corps. Cet extrait de la page 31 – mais il en est tant d’autres – le montre éloquemment :
Je nous aimais roulés trop loin fragmentés unis nos deux langues occupées affranchies de vues ton audace attachée à mes poignets contraints les ruses de tes dents […] .
L’enlacement des phrases mime celui des corps à tel point que nous saisissons le dire autant avec le souffle qu’avec la phrase.
Chaque poème a en effet son souffle et son rythme propres que tout lecteur se doit de sentir pour laisser monter en lui le mouvement cardiaque du dire poétique. Cela donne raison à Coralie Akiyama qui, dans Femmes, si j’étais, a supprimé toute ponctuation – excepté, c’est un signe, dans le titre… – dans toute sa prose, comme Apollinaire avait fait pour son recueil Alcool. On se doit ainsi de s’approprier chaque strophe, de la lire, de la laisser monter en nous pour que la scansion nous la fasse visualiser. Alors nous devinons comment se ressent ce corps qui souffre, porte la mémoire de ce qui fut – mais le fait librement et sans le consentement de l’esprit – (p. 15), ou encore le vécu de l’angoisse face à l’élan créateur (p. 22).
Rarement le dialogue d’un artiste et d’une poétesse se sera fait si subtilement. Nombre de dessins de Jacques Cauda rendent indistinctes les parties des corps, où montrent des visages aux expressions grotesques comme le feraient des masques, tordues. On les croirait exilés de l’âme, vivant d’un semblant de vie purement bestial. Certaines pulsions haineuses exprimées par Coralie Akiyama – je pense notamment à la haine (p. 37-38) – font de même, par cette sorte de fléau indicible qui détruit sans que jamais les mots puissent en saisir le sens. La perte vis-à-vis du langage s’exprime aussi sous l’angle de la rupture. La poétesse parle de son « abîme incomplet » – à mettre en rapport antithétique avec l’« abîme plein » d’Antonin Artaud ! Coralie Akiyama expérimente l’incomplétude de son abîme quand Artaud en souffrait le trop-plein ! – quand ce langage qui se dit lui-même, s’énonce malgré soi et en interdit le questionnement :
le langage s’émiette se rallonge ça fait une traînée une sorte de voie lactée voyelle vers quel chemin de quelle maison de quelle clairière […]
Telle est le rythme que le lecteur lui-même se sent tiré par le souffle de la phrase et en ressent intimement ce qui s’y dit !
À l’expérience douloureuse – traumatisante ? – du réel, il n’est nul remède, et le modeste auteur de ces quelques lignes pense que la vertu de l’acte poétique n’est pas celle de la guérison, mais du baume apaisant. Le beau apollinien, disait Nietzsche, n’annule pas la libération des instincts dionysiaques, il les recouvre d’un voile qui les adoucit et les esthétise. De même, le poème chante la hargne de la survie face au néant avec une rythmique et une vérité qui la transcendent :
Va silence opportuniste sourd au passé ses fracas en guise d’épilogue pendu à la beauté d’une ligne où l’esseulé regard s’évapore s’égratigne […] .
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Les auteurs.

Diplômée de Science-Po Lyon,
Coralie Akiyama (1984) a vécu à Tokyo
pendant 13 ans et partage désormais
sa vie entre Paris, Tokyo et Tel Aviv.
Elle est l’auteure de romans –
Féérie pour de vrai, Dévorée –
de recueils de poésie dont Désordre
avec vue, Vivante-moi, Shoshana, et
d’une pièce de théâtre, L’Étape Zéro.

Jacques Cauda, né à Saint-Mandé
le 9 juillet 1955, est un peintre, écrivain,
poète, éditeur, photographe et
documentariste français. Il dirige la
collection LA BLEU TURQUIN aux
Éditions Douro, ses oeuvres sont exposées
à Londres, Amsterdam, Bruxelles, Paris.
Il collabore régulièrement avec des écrivains
et participe aux anthologies d’Embarquement poétique.
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