photo de couverture : Muriel Verstichel
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J’ai rencontré Samuel Thyrion lors de la 2ème édition du Marché de la poésie de Lille : il lisait un extrait de Fugues – recueil en cours d’écriture – avec le violon alto de Christelle Rimbert qui m’a aussi accompagnée dans la lecture de L’Anneau de Chillida, au bar Le Bel Ouvrage où Embarquement Poétique avait organisé le 6 décembre 2024, en collaboration avec Le Tympan Marteau, une lecture musicale de poésie.
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Le projet de Fugues, nous dit-il, a pris racine et forme avec Christelle, d’abord en choisissant des textes du recueil, puis en se retrouvant – voix et alto (instrument à la voix plus profonde, plus intérieurs que son cousin, le violon) – autour des poèmes retenus.
L’ensemble tel que je l’ai entendu témoigne de la belle osmose entre les deux artistes, qui précisent que l’idée n’était pas d’accompagner ces textes en musique, mais bien de les faire parler, dialoguer, réagir avec l’écriture de Christelle qui compose et interprète. L’enregistrement réalisé doit encore être monté, mais on peut deviner ce qu’il en adviendra si on écoute les podcasts du poète où il s’imagine sorcier, capable d’amplifier les pensées qui s’agitent et prennent forme dans la tête des poètes et musiciens ventriloques :
comme eux Samuel tente de semer des mots au vent de la poésie, en poète marcheur attentif au monde qui l’entoure : passants, impressions, sons infimes saisis dans la trame d’un quotidien urbain, comme dans le podcast intitulé « Berceuse » :
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« Berceuse », texte et voix Samuel Thyrion :
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Des textes lus par Samuel lors de cette soirée lilloise à l’ambiance magique, dans un local ayant gardé l’ambiance et le décor des estaminets d’antan, peuplé d’une jeunesse qui s’est révélée attentive aux lectures, je retiens « A résidence », qui illustre le cheminement du poète, entre promenade urbaine et réflexion métaphysique, quête d’identité.
Je vous propose aussi de lire un extrait du poème Rashidieh, qui m’a bouleversée et qui prouve que l’engagement du poète et son souci de l’humanité n’est pas un vain mot.
Marilyne Bertoncini
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A résidence
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Sur les néons de l’aube,
les questions-lucioles dansent
Est-il possible ?
D’acheter l’éternité
De ne plus penser
Ou d’être condamné
A trébucher sans relâche
De me tatouer de ses rires
De me réfugier dans ses cils
De vieillir ailleurs que face à la mer
Est-il encore possible ?
De guérir des bombes
De cicatriser l’exil
D’amputer la faim
D’euthanasier l’hiver
De traverser le miroir du papier calque
De nager sur la fonte des sommets
De se perdre dans les méandres du Sahel
Est-il toujours possible ?
De pénétrer les failles des souvenirs de ma sœur
De découvrir les ossements des lettres à ma mère
De cartographier les souterrains de mon enfance
Voyageur à résidence
Je marche
Sans boussole ni rose
Pour accoster les rives d’une page blanche
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Rashidieh (1)
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Leila,
Je me souviens de ta naissance
La lune était pleine
Inondant de lumière le camp de Rashidieh
Je me souviens de ta naissance
De tes cris d’espoir de vivre
Qui réveillaient les 34 000 âmes du camp de Rashidieh
De ce 19 septembre 1974
Qui annonçait une journée d’attente de plus pour les « résidents temporaires » du camp de
Rashidieh
Leila,
Je me souviens de tes regards de nouveau-né,
de tes yeux noirs qui se mélangeaient au lait de ta mère
et désarmaient les soldats postés aux portes du camp de Rashidieh
Je me souviens de tes premiers pas
Tu vacillais, tu tombais, tu te relevais à l’image de ton peuple incarcéré
Qui chaque jour espère retrouver le chemin de sa terre
Je me souviens de tes larmes et de tes mains tremblantes sur tes oreilles
Pour étouffer le vacarme des bombes
Qui disloquèrent l’abri de tes parents
et de tes voisins dans le camp de Rashidieh
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L’auteur :
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Samuel THYRION s’est engagé en poésie sur le tard. Il écrit et conte à voix haute des histoires de chercheurs d’or, de piétons anonymes et d’oiseaux blessés qui veulent habiter le monde avec force et humilité, ballottés entre les souvenirs de leur enfance, leurs cris, leurs joies et leur furieuse envie de vivre. Des textes en équilibre sur un fil sensible en hommage aux hommes invisibles qui vivent, se surprennent et s’émerveillent toujours, fidèles à eux-mêmes, à leur quête de liberté et d’altérité. Les poèmes appartiennent, dit-il, à ceux qui les lisent et les écoutent…Certains de ses textes sont publiés dans la revue en ligne L’Oupoli.
D’autres ensembles de poèmes cherchent leur maison d’édition…
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