.
La poète israélienne Gili Haimovich, que je remercie, et dont j’ai publié ici récemment un poème de paix, m’a proposé ce texte du grand poète palestinien Taha Muhammad Ali (1935-2011), dans la traduction de Peter Cole, sur le site Poetry Foundation.
Taha Muhammad Ali tenait une boutique de souvenirs près de Nazareth. Il est né en Galilée en 1931 et est allé à l’école du village avant de fuir devant l’avancée israélienne. Rentré au pays, il a écrit, jusqu’à sa mort en 2011, des vers bouleversants, racontant la grandeur et la misère des petites gens de Palestine.
J’ai cherché un recueil traduit en France, mais la seule publication repérable, Une Migration sans fin », traduit par Antoine Jockey aux éditions Galaade, en 2012, est épuisé, et l’éditeur a disparu. C’est donc ma traduction de « Revenge » que je vous propose de lire, en cette veille de fête de communion humaine – après avoir écouté la lecture par le poète et son traducteur anglais dans la vidéo suivante :
.
.
Vengeance
Nazareth
April 15, 2006
Parfois… je souhaite
pouvoir rencontrer en duel
l’homme qui a tué mon père
et rasé notre maison,
m’expulsant
vers
un pays étriqué.
Et s’il me tuait,
Je me reposerais enfin,
et si j’étais prêt—
J’aurais ma vengeance!
*
Mais s’il se révélait
quand mon rival apparaît,
qu’il avait une mère
qui l’attend,
ou un père qui poserait
sa main droite au-dessus
du cœur dans sa poitrine
chaque fois que son fils est en retard
même d’un seul quart d’heure
à une réunion qu’ils avaient prévue –
alors je ne le tuerais pas,
même si je le pouvais.
*
De même… je
je ne le tuerais pas
s’il s’avérait
qu’il avait un frère ou des sœurs
qui l’aimaient et avait constamment envie de le voir.
Ou s’il avait une femme pour l’accueillir
et des enfants qui
ne supporteraient pas son absence
et que ses cadeaux rendraient heureux.
Ou s’il avait
des amis ou des camarades,
des voisins qu’il connaisse
des alliés de prison
ou d’une chambre d’hôpital,
ou d’anciens condisciples …
s’inquiétant de lui
et lui envoyant leurs amitiés.
*
Mais s’il se trouvait
qu’il est absolument seul —
comme la branche coupée d’un arbre—
sans mère ni père,
ni frère ni sœur,
sans femme, sans enfant,
et sans parents, ni voisins, ni amis,
collègues ou camarades,
alors je n’ajouterais rien à sa douleur
au cœur de cette solitude—
ni le tourment de la mort,
ni le chagrin de disparaître.
En revanche, je serais content
de l’ignorer en le croisant
dans la rue – car je
je me suis convaincu
que ne lui prêter aucune attention
est en soi, une sorte de vengeance
trad. Marilyne Bertoncini (From the Collection « Hymns & Qualms: New and Selected Poems and Translations » by Peter Cole)