Adelin Donnay, 27 x 30/24 acrylique sur toile, oeuvre exposée à La Galerie de l’Etrange

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La rencontre du 17 avril au Bistrot Poète, à Nice, sur le thème de l’exil, en écho au Printemps des migrations, présentait les livres de Murielle Compère-Demarcy et Khaled Youssef sur l’exil, le travail de Nancy Lange – Traduire les lieux, et la revue Femmes de parole – et la musique de Benjamin Flora-Saxemard, e quête de ses racines, entre Mali et Martinique. La soirée s’est conclue sur une belle scène ouverte aux poètes niçois, dont certains textes évoquant diverses facettes de l’exil et des migrations ont retenu mon attention : les voici.

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BRIGITTE BESOS

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LA   COMPLAINTE   DES    DEUX   RIVES

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« ON a tout perdu !   Vous comprenez

Une main devant et l’autre derrière »

Disait la vieille Dame en pantoufles et bigoudis

Endimanchée dans son manteau d’hiver

Un jour d’été au port d’Alger….

            Tout perdre, tout laisser

             Partir ou bien mourir

             « La valise ou le cercueil ! »

             « Une main devant et l’autre derrière ! »

Comme Adam et Eve soudain chassés

D’un paradis de glycines et d’orangers…

Et pourtant, il y en a qui gagnent toujours, le porte-feuille bien garni

Qu’ils soient éventés sous l’ombre bleue d’un vieux palmier

Ou qu’ils savourent un thé anglais dans l’orangerie d’un domaine privé !

             Mais là, sur le bateau qui fendait l’eau du Port

Avec tous ses reflets bleu d’outre-mer et d’outre-mort,

Oui ! Ils avaient tout perdu !

Et des paillettes d’or scintillaient encore sur l’eau bleu saphir

Tandis que s’éloignait la Ville Blanche sur sa rive

Avec sa médina aux terrasses lilas

Et ses faux palais en arcades

Sur front de mer baignés d’ Eclat !

Au loin,sur la colline, des escaliers gravissant les pentes du Ciel

Et le coquillage rose nacré

De la Basilique dorée où veille la Vierge noire sacrée

Et à bord du bateau, des reflets de soleil

Sur les poitrines brunes de ces exilés

Croix, Etoiles de David et mains de Fatima argentées.

            Quand on a tout perdu !

            Le Ciel nu s’ouvre enfin

            Comme une bouche de lumière…

Dans le bateau chauffé à blanc, mer indigo,

Dieu qu’il fait chaud !

Les mains crevassées qui avaient tant travaillé

La terre bien aimée

Etaient posées, inutiles, sur les genoux

Des voyageurs alignés…

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A cet instant de leur départ

Dans la haute mer bleu marine

Loin de la jetée blanche de l’Amirauté,

Ils n’ont plus jamais reparlé de leur passé…

Tous ces vieux , sages musulmans, juifs ou bien chrétiens,

Ils savaient…

          « On ne tient jamais rien dans nos lignes de vie

           Qui se perdent dans les chagrins…

            C’est quand on perd tout, qu’on est nu sous les cieux,

           Qu’on est avec Dieu ! Disaient certains vieux…Inch’Allah »

Que peut-on emporter quand on a tout perdu ?

            -De la tendresse, de la joie, de l’amour fou

             Un grand bonheur par petits bouts…

Sur le grand bateau blanc, avançant dans l’eau noire

L’oeil avisé des mouettes s’étonnait :

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-Ici, une cage avec un canari qui s’égosille

Un faux diamant qui brille sur une veuve en mantille

Une tortue en robe de laine orangée tricotée en avance

Par une petite fille pour le froid de France

-Un morceau de pain à l’anis sur torchon blanc

Pour un casse-croûte de saucisses au piment

-Des habits enfilés à la hâte, les uns par-dessus les autres

Robe d’été, tailleur de mariage, manteau d’hiver

Talons aiguilles, souliers vernis, pour ne rien perdre…

            Une vieille Arabe, le front tatoué d ‘étoiles bleues

            Qui veille sur des enfants blonds comme sur ses propres yeux

Et sous l’oeil avisé des mouettes,

            De belles filles, de beaux gars, aux chairs dorées par la mer ensoleillée, le raisin muscat, les pêches parfumées, les dattes ambrées,

Les poissons ruisselants et les oursins rouge sang

            Certains jouent de la guitare en tapant sur la caisse

            Et la  rosace fait s’envoler des arabesques de flamenco !

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Mais au juste, qui étaient ces gens qui avaient tout perdu ?

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           De pauvres gens sans continent

           Sur le bateau d’ entre-deux rives indigo ?

Qui étaient-ils avec leur asmala et leur accent bruyant,

Leurs mots choquants de tam-tam et de darboukas, leurs mots migrants

eux-aussi de Tchoutchouka, de Tchaklala , de Tataouine, de Ramdam !

            On ne peut pas dire comme tout le monde :

Ratatouille, esclandre, lieu improbable dont on ne revient pas, raffut bruyant au lieu de Ramdam, Ramadan !!!

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Et peu à peu, sur ce bateau de détresse,

Ils oubliaient qu’ils avaient tout perdu.

Il y avait soudain des treilles qui dégouttaient

Du vin doré, des pampres rosés de soleil

Et non du sang et des larmes …

La plaine liquide se couvrait de lait, de miel et de blés

Les dauphins suivaient les sillons de la mer d’encre violette

Vers une autre terre promise,

Les mots de buvards roses absorbaient les larmes

Des plumes sergent-major et de cette drôle de guerre !

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Ils avaient tout perdu, certes, sauf l’Eclat de l’azur

Et de la lumière marine qui étoilait leurs fronts et leurs poitrines

Comme les hommes qui perdent tout

Alors qu’ils gagnent en certitude qu’ils ne sont qu’ UN

Sur le bateau d ‘Entre-Deux Rives

Où nous flottons tous de désastres en bonheurs

Nous éveillant dans la douleur

A ce que nous sommes véritablement

Quand nous n’avons plus Rien !…..

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                                                                                        Mars/Avril 2025

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KATY REMY

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Une hémorragie. Tout a disparu au cous de l’exil. Le plaisir d’abord. Puis la voix

Nice Gare routière

frontière

langue

bordée de langues

appui cédant sous la nuque

si l’on torture

sous les pas de l’exilé

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Nice Gare routière

défendez vos splendeurs

sur Tanger-Amsterdam

frémissez

affranchis des frontières

lancez des appels

d’Est en Ouest

nos chaussures

vous devancent

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TATIANA GEAY

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La maison des esclaves

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L’île de gorée….

Un endroit magnifique et pourtant

Ici les murs parlent plus qu’ailleurs

Attirant des centaines de visiteurs

Mi-conscients mi-inconscients

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Dans ce lieu plein de monde

Chacun prend dans chaque recoin

Des selfies appareil au poing

Ignorant un passé immonde

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De mon côté 

Je suis touchée en plein cœur

J’écoute pieusement l’histoire se dire

Avec la furieuse envie de fuir, de vomir

Une espèce de torpeur face à l’horreur

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Sur chaque mur suintent les mémoires 

Humides de ces femmes, de ces hommes, de ces enfants dans le noir

Des millions d’âmes séquestrées

emprisonnées, séparées, déracinées,

entassées pire que du bétail à même le sol

Je ressens dans mon corps la douleur et la peur

La peste, les cris, les pleurs

Les gémissements, la crasse, le froid

Les déjections humaines, l’effroi

Je revois ces scènes devant mes yeux : Des enfants couchés par terre

Presque nus, sans leur mère

Des hommes récalcitrants enfermés dans de minuscules cellules recroquevillés

Des femmes, sur la bonne tenue de leur sein triées 

Pour savoir si elles pourront enfanter

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Puis, une porte fermée, tout au fond

Une porte qu’on n’ouvre qu’une seule fois

Une porte ouverte sur l’horizon

Un horizon vaste et inconnu 

Comme l’est la destination, son futur « patron » ou son nouveau nom

Un emprisonnement intérieur même face à cette immensité

Être enchainé, mourir encore en mer ou vendu à la criée

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Devenir fous, contraints, forcés

Sauter dans la mer, mourir noyé ou fusillé

L’inhumanité de l’homme face à ses pairs

Aucun animal ne peut faire endurer ce calvaire

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J’ai la rage, la haine pulvérise mon cœur, 

Mes larmes brulent comme le sang 

mais elles ne couleront jamais autant 

que celui de ces hommes, de ces femmes, de ces enfants morts ou contraints à l’exil pour vivre.

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