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Publiée sur la revue Recours au Poème de ce mois de janvier, la poésie de Steve Dalachinsky, traduite de l’anglais (US) par Franck Andrieux, sera disponible sous le titre Reaching into the unknown / Tendant le bras vers l’inconnu, aux éditions L’Appeau’strophe (Montpellier) en février 2025.
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Le livre est en précommande ici :
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C’est avec un grand plaisir que nous vous proposons de découvrir un poème encore inédit, Le jazz était sa religion – tout sur Ted Joans1 & plus rien, que nous avons eu le plaisir d’entendre dit par Franck Andrieux, accompagné du violon de Ken Sugita, lors de la soirée musicale et poétique tenue en marge du Marché de la poésie de Lille, le vendredi 6 décembre, au bar Le Bel Ouvrage.
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Jazz was his religion – all of Ted Joans & no more
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it’s saturday morning
i’m 1/2 asleep yet fully awake
i glance @ the clock it’s 9:11
i stare into its face until it becomes 9:12
tomorrow is mother’s day
it’s supposed to rain
it will be raining in rain town i consider people still piss on trees
a slight cool breeze comes in thru the window
along with the sound of pneumatic drills (ruffling the curtains & my ears)
always deconstructing reconstructing
busy people are some damned busy they still get lost in lost town
i’ll have to make more phone calls write more poems
this would be a good time to have e-mail enter the modern age
what does it all mean? TED IS DEAD
ted is dead there’ll be no more nerve endings & sweet potato
pies no more sudden visits no more trips to museums
ted is dead & bob kaufman was jewish & baraka was leroi once
ted’s dead & there’ll be no more asking for favors no more borrowing money
no more eating in cheap restaurants no more leaving things in my pad anymore
no more TEDUCATION no more nuts from Economy Candy no more tours of hidden places
no more wide-eyed crazy excitement no more aardvarks & rhinoceros
no more exquisite corpses no more world traveler
paris mexico timbuktu n.y. California & deep space too (no more Black Velvets)
no more pow-wows elegance friendship on
demand demanding friendship
no more ultimate HIPSTER SURREALIST BEAT JAZZ SOUL
people still piss in the street & act like no one sees them here in piss town
where only his ashes are left to be scattered around the world
there’ll be no more fire escapes no more NO BREAD NO TED
no more private NO SMOKING signs
the hands of the clock keep moving & i move closer to sleep than to waking
ted is dead he was born on the day that white america claimed its INDEPENDENCE
he died surrounded by its history & the history of the entire animal race
he died a rich poor man self-made legend one of a kind
he was the entire 20th century
of his time in his time ahead of his time
ted was the beginning & the end of time
ted was he was ted is he is ted’s dead he’s dead ted lives he lives
TED JOANS LIVES!
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Le jazz était sa religion – tout sur Ted Joans1 & plus rien
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c’est samedi matin
je suis à moitié endormi déjà pleinement éveillé
je regarde l’horloge il est 9h11
je regarde son cadran jusqu’à ce qu’il soit 9h12
demain, c’est la fête des mères
il est censé pleuvoir
il va pleuvoir dans cette ville pluvieuse je songe aux gens qui pissent encore sur les arbres
une légère brise fraîche entre par la fenêtre
avec le bruit des marteaux-piqueurs (froissant les rideaux et mes oreilles)
toujours déconstruire reconstruire
les gens occupés sont vraiment sacrément occupés ils se perdent encore dans la ville perdue
je vais devoir passer plus de coups de fil écrire plus de poèmes
ce serait le bon moment pour avoir un courriel entrer dans l’âge moderne
à quoi ça rime ? TED EST MORT
ted est mort il n’y aura plus de terminaisons nerveuses & plus de tartes à la patate douce
plus de visites inopinées plus de sorties dans les musées
ted est mort & bob kaufman était juif & baraka2 autrefois fut le roi
ted est mort et il n’y aura plus de demandes de services plus d’emprunts d’argent
plus de repas dans des restaurants bon marché plus d’oublis d’affaires dans ma piaule plus jamais
plus de TEDUCATION3 plus de bonbons à Economy Candy4 plus de tournées dans les endroits cachés
plus de folle excitation aux yeux écarquillés plus d’oryctéropes & de rhinocéro
plus de cadavres exquis plus de voyageur du monde
paris mexico tombouctou new-york la Californie & les espaces lointains aussi (plus de Black Velvets)
plus d’élégance pow-wow5 d’amitié à la
demande une amitié exigeante
plus de SOUL JAZZ BEAT SURRÉALISTE HIPSTER
les gens pissent encore dans la rue et agissent comme si personne ne les voyait ici dans cette ville-pisse
où il ne reste plus que ses cendres à disperser dans le monde entier
il n’y aura plus d’escalier de secours plus de PAS DE PÈZE PAS DE TED
plus de panneaux privés INTERDICTION DE FUMER
les aiguilles de l’horloge continuent de tourner & je me rapproche plus du sommeil que du réveil
ted est mort il est né le jour où l’amérique blanche a revendiqué son INDÉPENDANCE
il est mort cerné par son histoire & l’histoire de toute la race animale
il est mort en riche homme pauvre a fait de lui-même une légende unique en son genre
il était tout le XXème siècle
de son temps dans son temps avant son temps
ted était le début et la fin des temps
ted était il était ted est il est ted est mort il est mort ted vit il vit
VIVE TED JOANS !
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notes :
1. Theodore « Ted » Joans (1928-2003), trompettiste de free jazz, poète et peintre américain. Auto-proclamé Surréaliste Noir, il est avec Bob Kaufman l’un des rares poètes africains-américains associés à la Beat Generation, ami de Jack Kerouac et Allen Ginsberg.
2. Amiri Baraka, de son vrai nom Everett Leroi Jones (1934-2014), dramaturge, poète et essayiste américain, chantre d’une esthétique africaine-américaine affranchie de l’hégémonie des canons de la culture occidentale.
3. Teducation : titre d’un recueil de poèmes de Ted Joans.
4. Economy Candy est la plus ancienne boutique de bonbons de New York.
5. Black Pow-Wow : titre d’un recueil de poèmes de Ted Joans.
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L’auteur
Poète et collagiste, Steve Dalachinsky est né à Brooklyn en 1946 et mort à Long Island en 2019. Emblématique de la culture underground du Lower Manhattan où il vécut avec sa femme, la peintre, poétesse et critique d’art japonaise Yuko Otomo, l’un de ses sujets principaux outre l’art visuel aura été la musique et les musiciens de jazz, dont il s’entourait régulièrement pour offrir à ses textes une vie de performance : poetry readings et/ou concerts) à New York, dont le Poetry Project, la Knitting Factory, ou la plupart des éditions du Vision Festival, festival de musiques d’avant-gardes et d’improvisation, mais aussi ailleurs aux USA, au Japon et en Europe.