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La publication aux éditions Lanskine du livre de Maud Thiria, Trouée, consacrée aux violences faites aux femmes, à cette maltraitance dont on ne peut pas parler, parce que les mots manquent, la langue même (ce que j’évoque dans un passage de XXL…S, titré « ablation/lallation »), me ramène au très beau livre de Carole Mesrobian illustré et mis en page par Wanda Mihuleac, aux éditions Transignum, que j’avais présenté dans la revue Phoenix, et dont je vous livre deux extraits, dont un en vidéo.
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Femme dans l’interchangeabilité de la présence. Il faut se taire. Pareilles de chevelure, de bouche, de corps. Brune ou blonde, pareilles. Femme dans l’abstinence de son identité. Discours orthonormé. Tu romps, elle pleure, tu te moques. Pas une émotion.
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Je ne comprends pas encore. Ce que j’entrevois, ce sont les gouffres que tu as ouverts. Une enfant pas guérie afflue. Je redeviens celle que l’on n‘aime pas. Pourquoi mais pourquoi pas moi. Le piège. La course au fil du tricot de l’enfance, une maille à l’envers, une maille à l’envers.
Je pense au Cavalier. Tu disais t’appeler le Chevalier Bleu, Der Blaue Reiter, je te nomme, je t’offre Kandinsky sur une carte avec des mots de l’unique moi à toi. Toi non. Toi c’était la cour du Roi Arthur, la table ronde, perte du nord et déboussole. Comme enfant, j’ai cru à la légende.
Dans l’interchangeabilité de sa texture, femme porte parfum, manteau, rideau, qu’importe qui comment, il en faut une, si possible à bigoudis plutôt qu’à favoris, à balai plutôt qu’à stylo.
Surtout tu ne dois pas parler. Je dois me taire. Quand nous allions voir les mâles pensants, tu dois te taire. Quand la Littérature est évoquée, là surtout tu dois te taire. Surtout seulement les regarder egos bouclés sur la ceinture et ronrons dégarnis. Penser mais te taire. Être là mais te taire. Accomplir mais te taire. Par malheur ne donne aucun avis, par malheur ne discute pas les phrases des hommes. Pas d’idée ne doit sortir de ta bouche. Pas de pensée. Tu dois te taire. Mets tes pieds sous ta robe et tais-toi.
Si je parle, c’est après, ta haine, ta jalousie, ta vipérine pestilentielle voix, celle du masque disparu, lorsque plus personne pour entendre tu enflammais de cris l’air où mes tremblements devenus pathologiques révélaient déjà l’absence dedans mon corps devenu comme un maison incendiée…Non mais pour qui tu te prends, tu es ridicule ma pauvre fille…Tu as vu comme tu te mets en avant, prétentieuse va…Fait mal.
Pas vu. Que je devrais cesser d’exister. Je dois me taire. Même tes paroles, je ne peux rien dire. Tu as raison, par avance et définition. Ne t’intéresse pas ce que j’aurais à dialoguer, juste comme ça, entre humains.
Oui mais moi, je suis la citadelle au sommet des montagnes, je suis l’arbre des neiges, et la pluie de cactus peau morte mais jamais réifiée. Juste muée de cette puissance d’une sève absolue. Je ne me tairai pas. Je te l’ai dit. Tu ne me domineras pas. Comme mise en joug qu’on fusille, malgré tout sous les projectiles de ta haine je ne me tairai pas. Jamais.
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