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Qu’on le suive sur son blog, Le Clavier cannibale1, (titre également d’un passionnant recueil de certains de ses articles) ou sur Facebook, à la page des « Editions incultes » (une trentaine de titres disponibles, certains également en édition numérique) , l’écrivain et traducteur Christophe Claro, dit Claro, vous propose de revoir tous vos préjugés et certitudes sur l’acte de traduction, dans des textes où l’érudition et l’implacable (im)pertinence des remarques, n’empêchent pas l’humour (souvent noir ou acide) ni l’exercice d’admiration pour d’autres écrivains ou traducteurs.
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Parfois envisagée par l’auteur comme un travail de boucherie, de « mortification » du texte, à la façon du peintre Bacon, devenu ici « L’écrivain, un pathologiste-boucher pénitent« , ou bien comme un « vice impuni », une manipulation « boursouflante » (qui fait que le texte produit en Français déborde largement de l’initial V.O) – la traduction est l’objet d’une réflexion diffractée, ludique et gratifiante pour le lecteur, qu’il soit ou non lui-même traducteur.
Je vous propose à titre d’échantillon dégustatif cette réflexion sur l’entre-deux dans lequel se situe le traducteur-liseur du texte qu’il travaille :
Lire, pour le traducteur, n’est déjà plus lire, c’est déjà défaire, oublier. Qui lit ce qu’il va – peut-être – traduire, lit déjà ce qu’il va – peut-être – écrire. C’est une étrange lecture que celle que fait – fabrique – le traducteur qui feuillette le livre à traduire Il lit plusieurs choses à la fois, sans vraiment tenter de les éplucher, conscient que l’oignon n’existe pas hors sa cyclique superposition. Il lit dans le décollement, et sa rétine se laisse impressionner au-delà du raisonnable. Il lit, et au moment même où il lit, le lecteur en lui se voit contraint d’écrire, même en ignorance, même en silence, le texte qui imperceptiblement, comme à force de discrètes apnées, commence à dériver, déraper, la langue de départ s’inventant non pas une transparence – la quête des équivalence n’a pas encore commencé – mais des vibrations, des écoulements. Tout ce qu’elle contient, et qui ne fait pourtant pas d’elle un récipient, se met à connaître une ébullition invisible. Elle sent, bien qu’en apparence inerte, qu’on attend d’elle, au prix truqué de son déni, une autre force. Le texte, sommé par la lecture de s’agiter, éprouve alors la tentation d’être traduit.
Écartons d’emblée la tarte à la crème de la fidélité. Pour qu’il y ait fidélité, autrement dit respect et soumission, il faudrait que le texte dont on s’empare soit figé dans sa forme comme un œuf dans sa gelée. Or on le sait, le texte qu’on lit n’est que le brouillon n+1+1+1… au sein d’une tâche infinie; il porte en lui, saturées, oblitérées, abandonnées, magnifiées, les cicatrices de son élaboration. Bien qu’apparemment arrêté au stade illusoirement oméga de son élaboration, il conserve en lui une dynamique, un élan, et c’est heureux, car c’est précisément cette mystérieuse mobilité qui va en faire un objet de lecture, c’est-à-dire d’appropriation, de dérive, de résonance. Or c’est sur cet objet mouvant que va se greffer le processus de traduction. Le traducteur prend le train en marche – et se paie le luxe de resquiller la langue.
1 – le clavier cannibale : https://towardgrace.blogspot.com/
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L’auteur :
Claro est écrivain (une trentaine d’ouvrages parus), traducteur de l’anglais (Rushdie, Vollmann, Pynchon, Lucy Ellmann…), directeur des éditions Inculte. Il tient un blog littéraire, « Le Clavier cannibale ».
plus d’infos sur sa fiche wikipedia https://fr.wikipedia.org/wiki/Christophe_Claro